Réussir
de Louis De Robert

critiqué par Alceste, le 11 mars 2018
(Liège - 63 ans)


La note:  étoiles
Les pièges de la réussite
Bien que l’ouvrage soit à peu près introuvable, je tiens à honorer la mémoire de Louis de Robert ( 1871- 1937) en chroniquant ce qui est bien ici un roman, et non un Xième manuel à l’usage des battants en herbe.

Trois époques structurent le roman :
Réussir, c’est bien le but de César Laurent, jeune employé modeste mais entreprenant, qui va tâter des différents milieux où, à Paris, il peut espérer monter et se débarrasser de l’emprise de sa mère. Il se voit d’abord artiste, pour imiter son brillant ami, le peintre Jean Ordinaire. Oui, mais artiste en quoi ? se demande-t-il naïvement. Finalement, la carrière journalistique lui ouvre les bras, et il parvient, non sans quelque ruse, à se faire une place enviable dans les bureaux d’un grand quotidien.
La deuxième partie est centrée sur Hélène, la séduisante cousine de Jean, qui a déjà attiré le regard de César Laurent. A présent, elle vit à Liège, car son mari, un homme plus âgé, y est médecin. Mais ce dernier est pris dans les tragiques événements de Visé lors de l’offensive allemande de 1914, et laisse Hélène veuve. Son cousin, lui aussi meurtri par les combats dans les tranchées, s’en rapproche et – il faut accepter cette convention de l’époque – lui déclare sa flamme. Après quelques résistances, Hélène lui offre son cœur et sa demeure, mais presque aussitôt, Jean se montre hésitant, morose, et tombe dans une profonde dépression. Pour lui, la réussite n’aura été qu’artistique.
C’est alors que reparaît César, que les événements de la guerre avaient éloigné de la vie mondaine, et à qui l’état déliquescent du couple ami n’échappe pas. Il se rend si bien indispensable dans le ménage qu’Hélène finit par lui céder, tandis que Jean s’éloigne. C’est qu’à la réussite professionnelle, César a jugé nécessaire de joindre la réussite sentimentale. De surcroît, il atteint le sommet de son avancement en devenant directeur général du quotidien. Il peut donc parader sur les Champs-Élysées au bras de sa ravissante épouse, et cependant lit-on, « il soupirait, parce que hélas ! notre rêve va toujours au-delà de ce que nos bras peuvent saisir. »

L’on suit sans difficultés les tourments, les espoirs, les revirements des trois personnages principaux, grâce à un jeu subtil de variations de points de vue, qui nous permet de saisir les caractères de l’intérieur et sous le regard des deux autres protagonistes. De surcroît, la langue d’un classicisme rigoureux ne masque rien de la psychologie des personnages tout en préservant une certaine ironie à leur égard.

L’auteur excelle dans des tonalités les plus diverses, que ce soit pour exalter une nuit d’été : « Oui , nuit divine, embaumée par la vague odeur d’oranger des acacias en fleurs. On entendait les deux chantres nocturnes, le crapaud et le rossignol, le son de la flûte infiniment doux échappé au cœur triste du réprouvé et les notes de cristal sonore du prestigieux ténor. Là, le paria honteux et ventre à terre, ici, dilaté, cambré, le seigneur de l’air. Tous deux embellissaient l’heure de leur suave musique et l’on ne savait laquelle charmait le mieux l’oreille, laquelle parlait le plus à l’âme. », ou pour magnifier le moment déchirant où Jean lit la lettre qu’un de ses camarade tué au combat ne lira jamais : « Il lisait cette lettre pleine d’une tendresse robuste, de sagesse, de simple foi, cette lettre venue du lointain des Cévennes, du petit village ombragé de noyers, de l’humble maison que le mort ne verrait plus et au seuil de laquelle une mère confiante et courageuse ne sentait pas , dans l’air limpide, voler vers elle la flèche du malheur qui allait la frapper. »