Zabor : ou Les psaumes
de Kamel Daoud

critiqué par Ardeo, le 10 mars 2018
(Flémalle - 77 ans)


La note:  étoiles
Hymne au français
Je n’ai jamais été un grand consommateur de poésie sous la forme de recueils et d’écrits divers même si je me sens très sensible à la poésie de la Nature, des paysages, des animaux, des choses et des ambiances artistiques ou filmographiques. Je suis plutôt imperméable à ce qui touche les jeux sur les phrases, les mots et accessoirement les rimes, l’allégorie, la métaphore, la symbolique etc.

Ce roman récent (paru en 2017 dans sa version originale) joue beaucoup avec le côté poétique des phrases, les images, les métaphores et la poésie.

Comment le présenter ? Ismaïl, un jeune homme (d’abord, petit garçon) dans un petit village d’un pays arabe (Maghreb, Algérie) n’a pas vraiment l’air d’être « un prophète dans son pays ». Il est différent des membres de la société dans laquelle il est né : plutôt « retardé », assez rébarbatif à la religion de ses ancêtres, sujet à des crises et des évanouissements (j’ai compris : épileptique ou quelque chose comme cela), attiré ouvertement vers la femme dès son plus jeune âge, un peu « illuminé », timide et solitaire. Son père, un riche boucher local, l’a plus ou moins éloigné de la famille et notamment de ses autres fils venant d’une autre mère que celle d’Ismaïl -répudiée et pas présente dans le livre- et l’a mis à l’écart dans le « bas du village » avec deux autres personnes mal vues de la communauté : sa sœur qui n’a jamais trouvé un époux (!) et un père (donc le grand-père d’Ismaïl) qui ne « colle » plus avec l’image d’une famille riche et aisée dans la petite communauté religieuse du village. Hadj Brahim, le père d’Ismaïl est à l’article de la mort.

Au fil des pages, le conteur (Ismaïl) nous rapporte son long cheminement personnel qui va de l’école publique (héritage du passé) à la vie religieuse, à l’étude du Livre sacré (jamais le nom du Coran n’est utilisé) puis à la découverte plutôt fortuite de livres (souvenirs de l’occupation coloniale) de tout poil et de tout bord écrits en français. Ensuite vient leur déchiffrage, leur lecture répétée puis la dévotion qu’il va leur porter ainsi que les choses qu’il va y trouver (dont le sexe). Le manque de matériaux, de livres va l’amener à confectionner ses propres écrits dans cette langue qu’il va adorer de plus en plus et qui va faire de lui « Zabor ». Ce Zabor devient un genre de Prophète (alors qu’il a quitté les offices religieux de sa communauté) et il découvre son don : il guérit et prolonge la vie des personnes qui l’entourent en écrivant et en écrivant encore !

L’auteur utilise le français (comme Zabor son personnage) d’une manière subtile, il ne nous prive pas de mots, de phrases, de chapitres du plus bel effet poétique, des allégories, des métaphores et tout cela est très beau. Que lui reprocherai-je alors ? Eh bien, je trouve que Kamel Daoud, peut-être emporté par son personnage, répète inlassablement les mêmes situations, les mêmes faits, les mêmes relations entre personnages, les mêmes faits « historiques ». S’amuse-t-il à l’écriture comme Zabor ? Il n’a pas l’air de faire du remplissage mais le lecteur que je suis a été lassé par des répétitions et parfois la lecture ne me semblait pas aisée du tout. Néanmoins, ce roman est une œuvre à découvrir surtout si on aime les écrits bien faits … avec les restrictions que je viens de faire.

Un extrait (page 312) : « Dieu est le vent, il ne faut pas l’insulter. Mais je ne l’insulte pas, je lui tiens tête, caché dans mon passe-montagne couleur sang, absorbé par mon trait. » qui révèle un peu plus les « intentions » de l’auteur.
Infructueux 6 étoiles

J'avais déjà remarqué dans "MEURSAULT;;;" la tendance de Daoud à habiller son récit d'une langue riche, poétique, profuse, un peu comme le note Ardeo. Il m'était apparu que cette manière de faire était finalement, pour moi, contre-productive, ensachant le récit dans un magma littéraire qui me semblait aller contre l'intérêt, réel, du propos. Dans ce nouvel opus, j'assiste à une exacerbation de la manière. La vie et le destin de cet orphelin doté d'une sorte de don sont une belle idée. Le déroulement du récit avec ses innombrables passages en italique destinés à enrichir le propos en lui conférant une dimension mystique devient d'une extrême complication et je m'y suis perdu. On trouve bien évidemment de très belles phrases, de beaux passages, des perles glissées ici et là, mais j'ai peur, comme souvent, que la richesse de la langue ne serve pas la pensée, mais au contraire la pare d'inutiles plumes de paon. Les tenants du langage poétique seront en désaccord total avec moi et je n'y peux rien.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 9 mai 2018