Je est un Juif, roman
de Charles Dobzynski

critiqué par Poet75, le 27 février 2018
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
Interpellant
Je découvre le poète Charles Dobzynski grâce à ce livre qui vient de paraître chez « Poésie/Gallimard ». L’auteur, m’apprend la petite note biographique de fin de volume, est né en 1929 en Pologne et il est mort en 2014 en France, le pays dans lequel il a vécu depuis sa petite enfance. « Il échappe de justesse à la déportation pendant la Seconde Guerre mondiale (…). Ses premiers poèmes ont été présentés par Paul Eluard dans Les Lettres françaises en 1949… ».
« Je est un Juif, roman » porte un titre qui rend hommage à la fois à Arthur Rimbaud et à Louis Aragon, mais, en vérité, il s’agit de bien plus que d’une simple déférence à ces grands poètes. Charles Dobzynski raconte comme un roman sa propre judéité autant qu’il raconte l’histoire des Juifs et, en particulier, celle de leurs épreuves et de leurs persécutions. Il s’inscrit dans cette histoire comme le Juif singulier qu’il est, qui la reçoit, la relit, la poétise et l’assimile de manière critique. « Je suis né juif / en coup de vent », écrit-il dès le commencement de ce livre, avant d’évoquer, dans un autre poème, la figure de son père fuyant la Pologne et choisissant la France pour terre d’accueil, ainsi que celle de sa mère : « Elle aimait aussi Baudelaire / dont le yiddish par son accent / lustrait les vers dans une eau claire / les chargeait d’un parfum puissant. »
Charles Dobzynski, marqué comme il l’exprime volontiers par les persécutions subies par les Juifs, n’en garde pas moins un regard sans concession sur l’Israël d’aujourd’hui et ses déplorables choix politiques : « Qu’un peuple joue avec le gouffre / faut-il se taire /quand le peuple d’en face souffre / d’être amputé de sa terre ? ». Pour lui, son peuple ne peut rester fidèle à lui-même que dans l’accueil de la diversité : « Tout Juif est une mosaïque / de mémoire et de passions / la grande saga judaïque / ne peut se clore en nation. » Et, dans un poème subdivisé en 4 parties, il évoque les Juifs de la diaspora, ceux de Russie vivant « sous une chape despotique », ceux d’Amérique, ce « continent bourrelé de mythes », et « un juif » de France (c’est-à-dire lui-même), pays du « meilleur » et du « pire ».
Un thème revient fréquemment sous la plume de Dobzynski, celui de la religion ou des religions (juive et chrétienne) et du refus de Dieu. « Ai-je tué Jésus ? », demande-t-il avant de s’étonner d’une malédiction absurdement imposée : « Cela vaut combien au marché / un zeste de malédiction / que l’on n’a pas méritée ? ». Lui se définit comme un Juif sans religion : « On dit de Dieu qu’il est sauveur / planche du salut, / pourtant je coule à pic / sans apercevoir la moindre bouée. ». Pour lui, les juifs orthodoxes sont des « quêteurs de Bible au bois dormant ». Il ne veut pas de dogme et préfère la fête à la foi. Serons-nous tentés de traiter l’homme, le poète, ses convictions et ses refus, avec dédain, nous qui, chrétiens, n’en avons pas moins persécuté ce peuple au long de l’histoire ? Il nous faut plutôt nous mettre à l’écoute d’une voix comme celle de Charles Dobzynski et nous laisser interpeller par elle. « Être juif, écrit-il encore, ce n’est pas se mettre / au garde à vous religieux / on peut vivre sans Dieu ni maître ». Mais « [l’]athée n’en est pas moins homme / en nous semées / sont des valeurs que rien ne gomme ».
Si Dobzynski ne veut pas de Dieu (ce que l’on peut parfaitement comprendre et qui, comme je l’ai déjà laissé entendre, devrait nous questionner plutôt que nous horrifier, qui que nous soyons), il n’en témoigne pas moins, en poète, tout au long de ce livre, de son humanité et des « valeurs » qui lui tiennent à cœur. Il en est plusieurs, dont une qui paraît paradoxale dans un livre où il est beaucoup question de souffrances et d’épreuves. Et cependant, cette valeur (car c’en est une, vraisemblablement), y tient une place non négligeable. Il s’agit de l’humour, « l’humour thérapeute », écrit même le poète : « J’ai besoin pour reprendre haleine / d’une dose de Philip Roth / d’un flash-back de Woody Allen ». Que l’humour juif est le bienvenu, en effet ! Et même l’humour non-juif, celui par exemple d’un de ceux que Dobzynski nomme « porte-flambeaux » : « S’il n’est pas juif c’est un principe / que jamais Chaplin ne dément / et son Dictateur anticipe / l’horreur et son avènement ».