L'exclue
de Alina Reyes

critiqué par Sahkti, le 19 mai 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Parcours intime et violent
Petit ouvrage au format intimiste, comme son contenu. Une cinquantaine de pages violentes et belles, le parcours d'une femme qui décide que sa libération passe par l'exploration sans limites de sa sexualité solitaire.
Une femme désabusée pour laquelle Dieu n'existe pas.
"Je voudrais bien savoir pourquoi tout ce qui est bon dans la vie finit toujours par faire du mal. Pourquoi, sinon, parce que le monde est mauvais ? C'est-à-dire, si Dieu existe, parce qu'il est mauvais? Mais Dieu n'existe pas, tout le monde le sait. Ce serait trop désespérant qu'il existe et que nous soyons ses enfants, si horriblement maltraités que nous ne pourrions qu'ajouter encore de la violence à celle dont nous sommes intrinsèquement victimes" (page 7)

Cette femme se sent prisonnière du carcan social, de sa vie, de son travail, elle veut se libérer, de la manière la plus fulgurante qui soit, consciente que ce chemin la mènera jusqu'aux extrêmes.
"Mon esclavage a pris fin et je me suis précipitée dans la liberté, c'est-à-dire dans le plaisir peut-être, dans la mort sûrement. Car nous ne sommes que des esclaves ou nous ne sommes pas" (page 8)

La narration est crue, jamais vulgaire, mais directe, franche et violente. Le désir d'une femme, un désir brut, exprimé avec beaucoup de force et de sensibilité.
Cette femme se livre à une débauche de gestes et d'attitudes (par exemple, le passage dans lequel elle urine en public, consciente du regard qu'un homme pose sur elle à cet instant précis, elle le fait exprès). Ses propos sont outranciers, elle veut choquer la société mais avant tout se choquer elle-même, découvrir ses limites et les dépasser. Cela passe notamment par une exploration fébrile de son corps, par la multiplication d'orgasmes mécaniques, par un usage intensif de ses doigts ou de tous les objets dont elle dispose.
J'ai retrouvé dans ce désir féminin la sauvagerie qui se dégage des ouvrages "Simple" de Franz Bartelt ou "Le divan" de Sophie Cadalen. Une sexualité animale qui correspond à un profond mal-être chez la femme soumise à ses désirs et à ses pulsions.
La narratrice se livre toute entière à ses errances sexuelles, mais aussi sociales. On devine sa détresse et sa solitude, perdue dans cette chambre d'hôtel qui lui sert uniquement de "caressoir intime". Ses orgasmes à répétition ressemblent à une envie furieuse de mourir, mourir de plaisir et d'abandon.
Elle ira loin dans sa démarche, délaissant le confort de ses draps au profit de la froideur de la rue, dormant aux côtés des sans-abris ou dans la ménagerie d'un zoo. Zoo dans lequel s'achèvera cette histoire, une fin mélangeant tristesse et bonheur.

"Le monde est mort et c'est pourquoi il m'avait exclue. En moi seule se réfugiait la Vie. La vie était dans mon corps, dans mon sexe, et mon dernier devoir était de la sauver en la faisant chanter, vibrer, jouir, éclabousser ce monde envahi de morts" (page 20)