"Je me promets d'éclatantes revanches"
de Valentine Goby

critiqué par Nathavh, le 9 janvier 2018
( - 59 ans)


La note:  étoiles
JUSTE MAGNIFIQUE
Lorsque Valentine Goby envisage l'écriture de Kinderzimmer lié à la pouponnière de Ravensbrück, elle rencontre Marie-Josée Chombart de Lauwe qui lui parle de Charlotte Delbo et son écriture.

Valentine Goby découvre cette femme, son histoire, son écriture et lui rend un vibrant hommage.

Charlotte Delbo est née en 1913 à Paris. Elle épousera Georges Dubach, militant communiste. Elle sera résistante durant la guerre, également la secrétaire de Louis Jouvet. Son mari Georges a été fusillé en 1943.

Elle n'est pas juive et le 24 janvier 43, elle fera partie d'un convoi de 230 femmes françaises non juives qui arrivera à Auschwitz. Elles sont déportées politiques.

Pourquoi Auschwitz ? Début 44 avec huit des 230 françaises, elle sera transférée à Ravensbrück.

"le degré inférieur dans le pire ce serait supportable en comparaison de Birkenau"

Elle nous en parlera par l'écriture car elle quittera les camps et la nécessité d'écrire sera le fondement de son existence, son appétit de vivre.

Son écriture nous donne plus que des images de l'horreur, elle nous fait vivre des sensations. Elle saisit les corps. Ce témoignage est essentiel. Pire que la mort existe l'oubli, il est donc essentiel pour elle d'écrire.

Elle utilise des blancs dans l'écriture comme le miroir de la neige. Difficile au départ, impossible de nommer ce qu'elle voyait, impossible de nommer ce que voyait leurs yeux.

"Elles ont peu à peu appris à nommer les choses, à parler la langue du camp. ... Le douloureux paradoxe, déplore Charlotte Delbo, est que tout effort pour trouver un langage propre à dire Auschwitz contient sa ruine : parler d'Auschwitz, c'est presque démentir l'expérience qu'on rapporte, puisque dans les conditions que les déportés relatent, écrit-elle, détournant un vers d'Apollinaire "aucun de nous n'aurait dû revenir". Braver l'obstacle de la langue, c'est être aussitôt suspecté de tronquer le réel ..."

L'image de la soif est insoutenable. Des mots simples qui évoquent beaucoup : le printemps signifie la poussière sèche après la boue et la pluie.

Charlotte Delbo éprouve la nécessité d'écrire, c'est le fondement de son existence, elle a un appétit de vivre, la capacité de sortir de cette horreur par l'écriture, de mettre des mots sur l'indicible. La crainte de l'oubli, une difficulté de trouver ses oeuvres en poche.

Un récit troublant, à lire.. Une écriture fragmentaire. Des mots magnifiques.

Ma note : 9.5/10

Les jolies phrases

A la lire, j'ai pensé qu'écrire, c'est peut-être exactement cela : forger une langue capable de nous ramener d'entre les morts ; la langue de nos confins où nous nous croyons muets.

C'est une histoire triste, sans fin, que met en mots Charlotte Delbo. Elle raconte qu'Auschwitz n'est pas un récit achevé. Un lieu clos. Comme les contes, comme les mythes il se décline sans cesse, change de costume, d'époque, de territoire, se réincarne mille fois en des formes oubliées - je pense, moi, au génocide arménien de 1915 qui en contenait les germes. Si Charlotte Delbo avait été vivante, elle aurait évoqué le génocide rwandais, la guerre en Tchétchénie, Vladimir Poutine, le conflit syrien, je ne peux m'empêcher de le croire; et je me demande quel chagrin l'aurait saisie.

...le degré inférieur dans le pire - ce serait "supportable' en comparaison de Birkenau.

La lecture toujours convoque le lecteur et sa propre histoire, en ce sens le lecteur coécrit en permanence avec l'auteur, il n'est pas indemne de lui-même en situation de lecture et toute littérature résonne singulièrement dans sa chambre d'échos.

Le monde après la guerre est pour elle un désert plein de mots d'amour que se crient des hommes et des femmes, et où elle se tient seule, dévastée mais vivante : Auschwitz, entreprise de déshumanisation totale, n'a pas pu détruire l'amour en elle.


Auchwitz est une variation atroce sur le thème de l'arrachement, dont nous avons tous, à notre façon une expérience intime.

Oubli et mémoire, deux pôles entre lesquels comme en nous-même, la vie, l'écriture de Charlotte Delbo hésitent sans cesse.

Le douloureux paradoxe, déplore Charlotte Delbo, est que tout effort pour trouver un langage propre à dire Auschwitz contient sa ruine : parler d'Auschwitz, c'est presque démentir l'expérience qu'on rapporte, puisque dans les conditions que les déportés relatent, écrit-elle, détournant un vers d'Apollinaire "aucun de nous n'aurait dû revenir". Braver l'obstacle de la langue, c'est être aussitôt suspecté de tronquer le réel ...

"Soif" est trop pauvre, trop étroit pour Auschwitz, il faut le déplacer.

Tout en elle respire la vie, la joie, la déportée semble être restée à Auschwitz et Ravensbrück. "Je me promets d'éclatantes revanches", écrit-elle à Louis Jouvet à peine libérée.

C'est par et pour les autres qu'elles trouvèrent la force de tenir debout. Préférer la vie, ce serait voir en nous cet autre, ce semblable qui nous déborde, nous multiplie, et le chérir, et le sauver; et par sublime effet, se sauver aussi.

Par inadvertance peut-être, par surprise, écrire lui a permis de revenir.

L'oubli est la mort véritable.

La liberté retrouvée est un vertige, souvent une illusion. On n'est pas libre, occupé de cauchemars.