Un fond de vérité
de Zygmunt Miłoszewski

critiqué par Phineus, le 9 janvier 2018
(Bordeaux - 87 ans)


La note:  étoiles
l'important qui se dérobe
Ce roman est le deuxième de la trilogie où on partage les aventures extérieures ou intérieures, touchantes ou pathétiques, du procureur Théo.

C'est un homme en recherche de la vérité (en fait de sa vérité) toujours insatisfait car celle-ci se dérobe sans cesse. Cela revient comme une obsession : dans ce qu'il croit, ce qu'il déduit, ce qu'il conclut "il y a quelque chose qui ne va pas", il sent qu'il a laissé échapper une pensée très importante, qu'il n'a pas vu un objet pourtant bien visible.

Tout ceci parce que, sans qu'il puisse le savoir, la déduction logique et rationnelle du détective classique ne peut le mener nulle part. Car dans toutes les situations ce n'est pas à la réalité des faits où se trouverait la réponse à la question "qu'est-ce-qui s'est passé ?" qu'il est confronté mais à une mise en scène.

Les coupables fabriquent des leurres

De sorte que l'intuition qui fait fi de la logique peut conduire à la vérité.
L'intuition, ces pensées flottantes, souvent sans queue ni tête, qui traversent l'esprit et qui filent sans laisser de traces.

D'où ces enquêtes à la démarche hésitante où il doit se dépendre des évidences même.

Quant aux mises en scène elles se révèlent fascinantes car si elles servent de leurres elles sont d'abord imbriquées à des réalités historiques, un contexte bien réel que décrit Miloszewski avec un talent incontestable.

A chaque roman son Histoire de la réalité : La thérapie familiale d'Herllinger chez l'un, la violence familiale chez l'autre, les mythes antisémites de la Pologne dans celui-ci. etc.

Et tout ceci écrit avec une vigueur, une tension, une habileté, une finesse, absolument séduisantes.
Revoilà Teodore Szacki 10 étoiles

Revoilà Teodore Szacki (après un premier roman Les impliqués), le Procureur jusqu’ici à Varsovie et maintenant en poste, à sa demande suite à sa séparation d’avec femme et fille, dans une bourgade du Sud de la Pologne, près des Carpates, et très belle ville au demeurant ; Sandomierz.
Très belle ville mais aussi très (trop) tranquille.

»Il se souvenait du moment où, prenant un bain de soleil automnal sur les bacs du château, il avait vu son avenir de manière si claire que les larmes lui en étaient venues aux yeux. Enfin ! Enfin, il savait précisément ce qu’il souhaitait.
Bien. Pour le dire gentiment : il s’était trompé. Pour le dire moins gentiment, il avait noyé sa vie patiemment construite dans un puits d’excréments à cause d’une saloperie de mirage. Il avait fini les mains tellement vides que ça donnait presque une impression de purification. Les mains totalement, absolument vides.
Au lieu de demeurer la vedette spécialisée dans les meurtres au parquet de Varsovie, il était devenu un étranger suspect dans une ville de province, ville qui paraissait morte après 18 heures, mais malheureusement pas parce que les habitants s’étaient entre-tués. Ils ne s’entre-tuaient jamais. N’essayaient même pas de le faire. Ils ne se violaient pas, ne se réunissaient pas pour commettre des crimes. Ils ne s’agressaient que très rarement. Quand le procureur Teodore Szacki dressa mentalement la liste des affaires dont il s’occupait, il sentit la bile lui monter à la gorge. Non, tout ça ne pouvait pas être réel. »


L’intérêt d’être l’auteur d’un roman, c’est qu’on peut à loisir modifier une trajectoire, une situation donnée. Zygmunt Miloszewski va donner ce plaisir à Teodore Szacki, et du lourd ! Un corps de femme, devant l’ancienne synagogue de la vieille ville, drainé de son sang, tout comme dans un rite sacrificiel juif, dans une ville réputée comme ayant été un bastion de l’antisémitisme polonais … ! Et le mari, un temps suspect au premier rang, va suivre une similaire trajectoire tragique …
Bref, du grain à moudre pour un procureur aimant enquêter …
Cet auteur, lu dans le cadre de mes lectures de polars du monde entier, remplit parfaitement la fonction de ce que j’attends de cette démarche. Zygmunt Miloszewski nous immerge complètement dans la réalité de cette ville provinciale polonaise, au point que je me suis aperçu que je connaissais cette ville dont j’avais oublié le nom, pour y avoir brièvement séjourné lors d’un voyage en Pologne il y a 6 ans ; Sandomierz.
Gros roman de 472 pages mais passionnant et pas forcément gore (comme beaucoup d’auteurs de polars s’en sentent obligés). Et puis, on a l’impression d’avoir mis un peu le nez en Pologne à l’issue de sa lecture !

Tistou - - 68 ans - 26 octobre 2022