Retour à Lemberg
de Philippe Joseph Sands

critiqué par Tanneguy, le 30 décembre 2017
(Paris - 85 ans)


La note:  étoiles
Lemberg, Lvov, Lviv... et Nüremberg
Lors de sa première visite dans la ville de Lviv, aujourd'hui ukrainienne mais qui fut aussi partie de l'empire austro-hongrois des Habsbourg, polonaise, soviétique et subit le joug des nazis et du gouverneur Frank, il réalise que son propre grand-père Léon était originaire de cette ville (il vivait à Paris et n'en parlait jamais). En étaient également originaires deux juristes éminents qui ont contribué à définir en droit international les concepts de "crime contre l'humanité" et de "génocide" et ont orienté les travaux du procès de Nuremberg où fut notamment jugé Hans Frank le "boucher" de la Pologne responsable de la disparition de la quasi totalité de leurs familles. Philippe Sands est juriste, on conçoit qu'il ait été fasciné par cette découverte et qu'il ait mené des recherches approfondies pour reconstituer les évènements de cette époque tragique.

Ce livre est le compte rendu de cette démarche ; il passe de façon continue de sa propre famille à celles des deux juristes Lauterpacht et Lemkin et analyse le comportement de Frank jusqu'à sa condamnation à Nuremberg.. Il mettra à jour des coïncidences étonnantes, son enquête le mènera jusqu'en Palestine en Australie, aux Etats-Unis... Le récit est passionnant même si les considérations juridiques sont parfois ardues pour un non spécialiste !
Pour les juristes férus d’histoire ou les historiens qui aiment le droit 10 étoiles

L’auteur est petit fils de Léon Buchholz, natif de la Galicie, région située actuellement au Nord-Ouest de l’Ukraine. Avant son exil à Vienne et ensuite à Paris, il a vécu à Lemberg (Allemand), ou Lviv (Ukrainien) en encore Lwow (Polonais). Autre ville importante citée dans cet ouvrage, au nord de Lviv, la bourgade de Zolkiew, alias Zhovkra, dont est également originaire une partie des aïeuls des protagonistes.

Cette partie du monde fut pendant le siècle dernier le fruit de neufs occupations alternatives, par différentes nations ou autorités, mais surtout fut occupée par le Troisième Reich entre 1941 et début 1945. Autant dire que cette zone fut pendant ces quatre années le théâtre des pires horreurs à l’égard de la population et bien sûr essentiellement vis-à-vis des juifs qui constituaient une composante sociologique significative.

Autre témoin privilégié de ces faits, Curzio Malaparte, diplomate italien, qui a consigné certains de ces épisodes dramatiques dans son livre « Kaputt » que je conseille aussi de lire ou relire.

L’œuvre se divise en chapitres qui privilégient les points de vues des acteurs de cet ouvrage, dont essentiellement Raphael Lemkin et Hersch Lauterpacht, tous les deux imminents juristes d’origine juive et immigrés l’un au Royaume-Uni et l’autre aux Etats-Unis.

Le dernier acteur principal de cet ouvrage est Hans Frank, avocat d’Hitler avant sa prise de pouvoir, et Gouverneur général de la Pologne, en ce compris la région de Galicie. Il fut un des principaux accusés au procès de Nuremberg, car responsable de la déportation et de l’extermination des juifs vivant sur les territoires où il exerçait son pouvoir.

Natifs de cette région, nos deux juristes ont été ce qu’on appellerait actuellement des influenceurs du procès de Nuremberg. Ils furent aussi l’un comme l’autre des victimes directes ou indirectes de par leur exil forcé et surtout de la disparition d’une grande partie de leurs familles respectives lors des persécutions nazies.
Lauterpacht étant le défenseur du concept de « crime contre l’humanité », Lemkin de celui de « génocide », deux notions de droit international qui pour le profane ne semblent être que des cases insignifiantes où la dispute semble inopportune, et qui pour Lauterpacht apparaît comme un risque fondamental de faire capoter l’objectif de faire condamner les prévenus cités au procès de Nuremberg en ne se focalisant pas sur les crimes commis sur des personnes individuelles.

L’auteur, également juriste de haut vol, parvient à passionner le lecteur en évoquant à la fois les faits et en expliquant les arguments des uns et des autres et l’enjeu de la qualification des faits reprochés aux différents cadres du régime national-socialiste.

Un livre d’une justesse étonnante et qui est loin d’être rébarbatif pour tous ceux qui sont par ailleurs fascinés par cette période tellement intense et dramatique du siècle passé.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 14 novembre 2021


Remarquable témoignage historique sur la période nazie 10 étoiles

Je n'avais entendu parler de Lemberg, 2° ville ukrainienne - 700000 habitants - qu'en tant que résidence du fils de Wolfgang Mozart aux débuts du XIX° siècle (voir Jacques Tournier, "Le dernier Mozart", critiqué sur ce site) dans alors l'Empire austro-hongrois. Depuis avec les soubresauts des guerres européennes la ville a connu des fortunes et des noms divers. Philippe Sands, juif anglais d'origine polonaise et juriste international renommé, est appelé dans cette ville pour y donner une conférence. Il se trouve que sa famille est originaire de cette région et, à l'occasion de cette conférence, on lui conseille de s'intéresser à son sort et en particulier de celui de son grand-père, originaire de Lemberg. II se lance donc dans une recherche historique qui le conduit pendant six années à reconstituer les parcours de membres de sa famille qui ont souvent été victimes de la folie nazie. Mais il découvre aussi que deux juristes majeurs du XX° siècle, Lauterpacht et Lemkin, ont étudié à Lemberg avant la période nazie et ont tous deux fait introduire dans le droit international les concepts de "crime contre l'humanité" pour Lauterpacht et de "génocide" pour Lemkin. Le récit de cette quête mêle ainsi les déchirures des différentes familles concernées aux décisions et comportements des autorités nazies dans un patchwork d'une grande qualité. On suit les efforts des deux juristes pour introduire leurs concepts dans les fondements juridiques du procès de Nuremberg, leurs succès et leurs échecs. La galerie des personnages retrouvés ou évoqués est impressionnante, chacun trouvant une place dans l'effroyable maelstrom qui a dévoré l'Europe, les histoires personnelles rentrant en résonance avec les grands mouvements de l'époque. Compte tenu de l'importance majeure des deux concepts juridiques concernés et de leurs conséquences après Nuremberg, j'ai trouvé particulièrement intéressant d'en voir retracer l'élaboration et la difficile introduction dans le droit international. Au total un livre d'une grande richesse et d'une belle élévation de pensée servies par un style sobre et efficace qui maintient l'intérêt du lecteur au cours de ses 700 pages.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 29 septembre 2020