Ma soirée du XXᵉ siècle et autres petites incursions: Conférence du Nobel
de Kazuo Ishiguro

critiqué par Septularisen, le 28 décembre 2017
( - - ans)


La note:  étoiles
A quoi bon écrire un roman qui ne procure rien de plus au lecteur que ce qu’il peut éprouver en allumant son poste de télévision?
Bien que se présentant comme une courte nouvelle, ou même une courte bibliographie, «Ma soirée du XXe siècle et autres petites incursions» n’est rien d’autre que le discours de réception du Prix Nobel de Littérature de Kazuo ISHIGURO. La tradition veut en effet que le lauréat du Prix Nobel de Littérature prononce, lors de la remise de son prix, un discours devant les membres de l’Académie Suédoise et la famille royale Suédoise. (A titre d'exemple, voici le discours prononcé par le portugais José SARAMAGO, en 1998 lors de la remise de son Prix Nobel de Littérature : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/2209) .

Il commence à partir de son plus jeune âge, quand (en avril 1960) alors qu’il a cinq ans, sa famille quitte son Japon natal et vient s’installer au Royaume-Uni, dans la ville de Guildford, comté de Surrey. Il s’adapte très vite à ce nouveau milieu, va à l’école primaire locale : «j’étais sans nul doute le seul enfant non anglais de toute l’histoire de cet établissement », fréquente la chorale. Il devient même à l'âge de dix ans « le premier chef de chœur japonais jamais vu à Guildford». Il parle également de la relation avec l’Angleterre, son pays d’adoption : «…et je suis stupéfait par l’ouverture d’esprit et la générosité spontanée dont cette communauté anglaise ordinaire fit preuve en nous acceptant».

ISHIGURO nous dévoile ensuite les premières étapes de sa vie d’écrivain, son premier scénario pour la télévision, ses pièces de théâtre radiophoniques proposées (et refusées!...) à la BBC, son premier roman : « Ce n’était pas une vie équilibrée, mais au cours de ces quatre ou cinq mois je réussis à achever une moitié de mon premier livre, Lumière pâle sur les collines – situé aussi à Nagasaki, pendant les années de reconstruction après le largage de la bombe atomique».

Il nous dévoile aussi dans un élan de sincérité et sans fausses pudeurs quelques-unes de ses sources d'inspiration, littéraires (Marcel PROUST ; Iris MURDOCH ; Christoph HEUBNER ; E.M. FORSTER ; Margaret DRABBLE ; William GOLDING ; Kingsley AMIS ; Gabriel GARCIA-MARQUEZ ; Milan KUNDERA ; Anthony BURGESS ; John FOWLES ; Jorge Luis BORGES, Paul BAILEY…), musicales (Tom WAITS ; Nina SIMONE ; Bob DYLAN ; Stacey KENT ; Ray CHARLES ; Gillian WELCH ; Emmylou HARRIS ; Bruce SPRINGSTEEN… ) et cinématographiques (Howard HAWKS…), qui tous l’ont plus ou moins influencé dans sa vie, et pour certains même, poussé à changer sa façon d’écrire et de voir le monde! P. Ex. sur Salman RUSHDIE et V.S. NAIPAUL : « Je voulais comme eux, créer une fiction internationale qui franchirait aisément les frontières linguistiques et culturelles…».

Enfin, et surtout, il milite pour un ralliement général à la lecture, seule capable d’après lui d’assurer un avenir au monde : «En un temps où s’accélère dangereusement la division, nous devons écouter. Des écrits et des lectures de qualité briseront les barrières». La lecture a pour lui une importance capitale à travers le monde : « Nous devons chercher avec plus d’énergie les joyaux de cultures littéraires qui demeurent inconnues à ce jour, que les auteurs vivent dans des contrées lointaines ou au sein de nos propres communautés.» Il termine toutefois sur une note d’espoir : «Nous trouverons peut-être même une idée neuve, une grande vision humaine, autour de laquelle nous rassembler».

Un texte autobiographique très court (une quarantaine de pages), mais très percutant, très bien écrit, dans le style habituel de l’auteur, tout en finesse et en retenue, qui non seulement nous fait mieux connaître ce très grand écrivain, mais qui en plus nous invite à nous (re-)plonger dans la lecture de ses livres avec un regard nouveau.