Robinson
de Laurent Demoulin

critiqué par Catinus, le 23 décembre 2017
(Liège - 73 ans)


La note:  étoiles
Un excellent prix Rossel 2017 !
Robinson est un garçon de 10 ans. Il est autiste.

« Autisme. Trouble du développement neurologique caractérisé par une altération des interactions sociales (repli pathologique sur soi), de la communication (langage) et du comportement. »

« Robinson n’a aucun problème. Parfois, il s‘ennuie, parfois il râle, parfois il a mal au ventre. Mais la plupart du temps, il est gai, harmonieux, bien dans son corps, content de ses préoccupations. Il n’a pas de problème. Mais il en est un. Dans le monde tel qu’il est et tel que de plus en plus il devient. »
Son père, le narrateur de ce roman, s’occupe de lui, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en alternance avec son épouse. Robinson ne parle pas. Mais il adore courir dans les rues de Liège avec son père. Parfois, il va à l’école des enfants autistes.

Il ne faut pas vous effrayer devant ce roman au sujet un tantinet particulier. Si le narrateur-auteur est un « intello » – Roland Barthes n’est jamais loin dans le récit –, l’écriture, donc la lecture y sont lisses (le contraire de rebutant). Et si vous hésitez encore à en entamer la lecture, chez votre libraire favori, jetez un coup d’œil sur le chapitre intitulé « Chez des amis (le barbecue) » pp 187-200 et là, vous serez conquis.

Laurent Demoulin vient de recevoir le Prix Victor Rossel 2017, qui est l’équivalent du Goncourt belge.
Il est l’auteur de plusieurs recueils de poésie et d’essais. Il est responsable du Fonds Georges Simenon à Liège.
Ce « Robinson » est, sans aucun doute, une de mes meilleures lectures de l’année 2017. Dont acte !

Extraits :

* Alors a lieu l’événement : je vois le jeune poissonnier quitter son étal et se diriger vers moi. Va-t-il me prier de faire moins de bruit ? Ses yeux marquent l’inquiétude. Il a visiblement hésité avant de poser l’acte qu’il est en train d’accomplir.
- Est-ce qu’il aime les crevettes ?
- Je ne sais pas, dis-je, désemparé.
Nous suivons le poissonnier. De retour dans son étal, celui-ci prend une crevette fraîche, la décortique avec soin, la tend à Robinson, qui arrête aussitôt de geindre puis qui, selon son habitude, commence par renifler le petit crustacé marin, avant de la croquer prudemment. Au lieu de le repousser, il le fourre tout entier en bouche, à la satisfaction générale. Alléluia. Je remercie le jeune homme avec chaleur.

* Chacun s’accorde de nos jours à penser que l’autisme est génétique, ou dû à la pollution, ou à traumatisme physique à la naissance, ou à l’influence des ondes sismiques, de la nourriture lyophilisée, des astres, des ancêtres dont le prénom comptait plus de voyelles que de consonnes … Bref : en tout cas les psychanalystes se trompaient, puisqu’ils culpabilisaient les parents, CQFD (…) En attendant, quant à moi, je m’accroche à ma culpabilité comme un noyé à une bouée de sauvetage (…)

- * (…) Marie chiait, alors, et, plus que probablement, le Christ lui-même. Mais Karl Marx aussi chiait, soyons juste, tout comme Lao-Tseu, Freud, Nietzsche, Platon. Volontiers l’on imagine que Jean-Sébastien Bach produisait des petites crottes rondes bien tempérées, rebondissantes comme des notes sur le clavecin. Sans doute Kant devait-il souffrir régulièrement de constipation pure – ou de constipation pratique -, un doute subsiste. Quant à Victor Hugo, au contraire, il devait avoir tendance à la diarrhée pendant douze jours d’affilée.

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En bonus :
1. Une interview de Laurent Demoulin sur TV5 :
https://www.youtube.com/watch?v=TxTEMmd9aNs
2. Une conférence « L’amour selon Roland Barthes « par Laurent Demoulin :
https://www.youtube.com/watch?v=VM2c3i1a1mo
pépite 10 étoiles

Bonjour les lecteurs ….
Ce livre n'est pas un roman, c'est l'histoire d'un papa " non-autiste" au sujet de sa relation, sa vie avec son fils "oui-autiste".
Ce livre ne se résume pas, il se lit en apnée. Il rassemble un ensemble de scénettes décrites avec pudeur et amour et qui retracent le quotidien de Laurent et de Robinson.
Ce livre montre la fusion entre ce papa et son fils, sa merveille.
Pas besoin de paroles entre eux, pas besoin de beaucoup de gestes… un regard parfois.. un regard dans lequel passe tout l'amour d'un père pour son fils.
Ce livre aurait pu être douloureux, il n'en est rien .. on se prend à sourire et philosopher avec ce papa.
Papa parfois confus, dépassé, contrarié , agacé .. mais qui jamais ne franchira la ligne blanche.
Ce livre est beau, ce livre est triste ...On ne sort pas indemne de ce livre .. le petit Robinson et son papa vont me hanter longtemps.
Laurent Demoulin est un auteur liégeois et professeur de lettres à L'ULG, il est un spécialiste de Ponge et de Barthes et s'exerce à la poésie.

Faby de Caparica - - 62 ans - 5 septembre 2018


Robinson 10 étoiles

Prix Rossel 2017. C'est un récit que j'avais envie de lire depuis sa parution. Un livre touchant, émouvant.

Laurent Demoulin mène deux vies, sa vie publique en tant que professeur de littérature, conférencier spécialiste de Francis Ponge, Simenon et Jean-Philippe Toussaint , et une vie privée en tant qu'adulte non-autiste vivant avec un enfant oui-autiste.

Le roman inspiré en partie de sa vie personnelle mais pas que, commence par un magnifique poème pour son Robinson.

Robinson a dix ans, il vit sur son île. il n'est pas coupé du monde, il est dans le sien. Il est privé du langage. Il est autiste ce qui signifie une absence totale de progression.

Le narrateur donne ici la parole à son fils qui ne parle pas. Par des petits instantanés de sa vie, il raconte son quotidien. L'attention nécessaire à 100% envers Robinson, impossible de le laisser seul une seconde sans contrôle sous peine de catastrophe.

Robinson ne parle pas, il rit, il crie, se fâche, se déculotte, fait se besoins n'importe où, joue et étale ses excréments, jette tout au dessus de l'armoire, renverse, met en bouche les fils électriques.

Ce sont des tranches de vie partagée avec nous. On accompagne Robinson et son papa au parc, à la piscine, au supermarché, à la fêtes foraine, chez des amis, dans l'intime.

Amour, merde, bulles de savons, patience.

J'ai avalé ce roman, touchée, émue par ce témoignage tendre, cette écriture magnifique, poétique, drôle parfois, tellement authentique. L'auteur nous parle du lien entre le père et le fils. C'est un magnifique témoignage d'amour réciproque.

Robinson est dans sa bulle, il a ses gestes, sa logique qui n'est que sienne, ce rapport sur le non langage qui intrigue son père. Un papa qui s'interroge sur l'avenir de son fils le jour où il ne sera plus. Il se souvient de ses parents trop tôt disparus, des souvenirs heureux, de l'amour reçu , un peu de nostalgie , une force pour transmettre à Robinson des tonnes d'amour.

A lire absolument.

Un gros coup de coeur. ♥♥♥♥♥


Les jolies phrases

Le printemps fait semblant d’être l’été, à la façon dont Robinson et moi faisons semblant d’être un père et un fils.

Faut-il mentir en disant la vérité ou dire la vérité du mensonge ?

Le non temps qui passe est plus implacable encore que le temps.

Peut-être suis-je dans l'illusion. Peut-être ses yeux se perdent-ils dans le vide et non dans les miens. Mais je me sens traversé par son regard, transpercé, transporté par lui en mon vrai lieu, dans un contact primordial, dépersonnalisant, dés-égotisant, mythique, céleste et désarmant.

Nathavh - - 60 ans - 3 avril 2018


L'autisme 9 étoiles

L’auteur est professeur de littérature à l’Université. Spécialiste de Barthes, Camus, Robbe-Grillet, Hervé Guibert.. Lui-même est issu d’un milieu intellectuel. Encore enfant, son père discourait avec lui de Platon et Aristote.. Et voilà qu’il a procréé Robinson, un enfant autiste qui ne parlera jamais… Lui, dont la parole est toute sa vie.
Pourtant, il a décidé de s’en occuper 24 heures sur 24 lorsque l’enfant est chez lui. Sa femme Hélène, la belle-mère de Robinson, quitte la maison lorsque l’enfant est là, c’est trop dur à gérer.
D’autant plus que Robinson prend un malin plaisir à se tatouer avec ses excréments et à en décorer tous les murs…. Ou à pisser dans les escaliers…

Cet enfant a pourtant une mère biologique, mais on n’en connaîtra rien. Comment l’enfant se comporte-t-il chez elle ? Comment concilie-t-elle sa vie personnelle avec ce fils que le père qualifie de « oui-autiste » ? A-t-il le même comportement chez elle qu’avec son père ? C’est la mère qui l’a porté pendant 9 mois, que s’est-il passé pendant ce temps-là ? On n’aura aucune réponse aux questions que l’on pourrait se poser… Seul le père s’en pose « En attendant, quant à moi, je m’accroche à ma culpabilité comme un noyé à une bouée de sauvetage (…)

Dans le catalogue : « Sois plus sévère. Ne te laisse pas faire ainsi. Il faut savoir sévir. Place- le dans une institution. Et les médicaments ? Et les dauphins ? Et les chevaux ? Et les dromadaires du Nil ? Et les camisoles de force ? Et la danse biodynamique ? S’il prononce un vrai mot un jour, garde-toi de le féliciter. Il comprend plus de choses qu’on ne croit cet enfant. T’adresses-tu assez à lui ? »

Ce livre qui a reçu le prix Rossel 2017 se lit comme un véritable polar. A chaque chapitre on a le cœur qui palpite quant à savoir quel tour Robinson va encore jouer à son pauvre père qui ne le lâche pas d’une semelle.

Injonctions paternelles :
« Regarder ce qu’il fait.
Lire debout. Porter partout son ordinateur portable.
Regarder ce qu’il fait.
Le conduire aux toilettes, changer les draps gorgés d’urine.
Regarder ce qu’il fait.
Eteindre sa veilleuse.
Regarder ce qu’il fait.
Placer entre son sommier et son matelas la planche qui l’empêche de transformer son lit en trampoline. Refermer la fenêtre à clé.
Regarder ce qu’il fait.
Aller rechercher son jouet préféré qu’il a jeté en haut de l’armoire.
Regarder ce qu’il fait.
Couper sa viande. Lui servir à boire. Eponger l’eau qu’il a renversée par terre.
Regarder ce qu’il fait.
Remettre ses chaussures. Le tenir par la main. Le moucher. Le torcher. L’embrasser. Lui parler.
Regarder ce qu’il fait.

Darius - Bruxelles - - ans - 27 décembre 2017