Le chien de Dieu
de Jean Dufaux (Scénario), Jacques Terpant (Dessin)

critiqué par Lettres it be, le 18 janvier 2018
( - 30 ans)


La note:  étoiles
"Le chien de Dieu" de Jean Dufaux et Jacques Terpant
Par bien des abords la figure de Louis-Ferdinand Céline avait déjà été évoquée en librairie. Mais du côté du Neuvième Art, encore rares étaient les initiatives jusqu’à présent. Jean Dufaux et Jacques Terpant corrigent la donne avec Le chien de Dieu publié chez Futuropolis. Bien plus que le récit dessiné de la fin de vie de l’auteur du Voyage au bout de la nuit, c’est un véritable miroir de toute une époque qui vous attend dans ces quelques planches. Lettres it be vous convie au voyage.

# La bande-annonce

1960. À Meudon, dans son pavillon, Céline est au travail. Sous le regard de Toto, son perroquet, Céline est concentré sur son prochain livre, Rigodon, celui qui clôturera sa dernière trilogie. À l’étage, dans la salle de danse, Lucette fait répéter ses élèves.
Alors que le soir tombe, l’orage éclate. Le tonnerre claque comme un coup de canon. À travers la fenêtre, à la lumière de l’éclair, Céline voit la silhouette d’un cavalier, le maréchal des logis Louis-Ferdinand Destouches, du 12e cuirassier, qui semble l’attendre au bout du jardin.
Et Céline se replonge dans son passé : la boucherie de 14, la rencontre avec Élisabeth Craig, l’écriture du Voyage au bout de la nuit, son quotidien de médecin, les dérives de la seconde guerre, la fuite à Siegmaringen, l’objet de ce dernier livre, Rigodon. Et bien sûr, Lucette, sa compagne, présente dans les pires moments, qui fait répéter ses élèves à l’étage.

# L’avis de Lettres it be

Un scénariste de BD belge comptant à son actif une œuvre-fleuve (plus de 200 ouvrages différents à ce jour !) s’étalant des thèmes les plus noirs aux univers les plus complexes et qui revient, à travers cet ouvrage, sur son amour originel pour la littérature. Un dessinateur drômois qui illustre tout cela avec un trait criant de réalisme et débordant d’humanité, malgré tout. C’est, en quelques mots, le cocktail détonnant qui donne la genèse d’un ouvrage remarquable du début à la fin. Difficile de contenir son enthousiasme lorsque, au travers des mêmes pages, peuvent se réunir amoureux de Littérature et admirateurs des phylactères.

En effet, Le chien de Dieu surprend par son abord du destin, du moins de la fin de la destinée, de Céline, l’immense auteur français, cette météorite qui depuis le XXème siècle ne cesse de questionner et renvoyer dos à dos les admirateurs de son génie et les détracteurs de ses agissements hors-œuvre. Un sujet brûlant, si l’on en croit l’actualité récente, mais qui ici ne tombe jamais dans l’hagiographie subjective ou l’ouvrage désintéressé. Dans le ton, la mesure permanente employée suffit à limoger les différentes objections. On redécouvre donc un auteur que l’on pensait (trop/pas assez) connaître, on le redécouvre d’une manière fraîche et originelle. Le découpage est classique et incorpore quelques « flashbacks » bien sentis, la colorimétrie changeante selon les époques est tantôt claire mais plus généralement sombre, comme un ensemble de gravures anciennes. Les tons bronze, noir et gris qui dominent dans l’album captivent l’œil de la première à la dernière planche, sans jamais faire trop austère. Au contraire. Sur le fond, comme sur la forme, c’est un plaisir dessiné. De toute évidence.
Une biographie du sieur Destouches 8 étoiles

Dans une tentative aussi périlleuse que courageuse, Jean Dufaux tente de retracer la vie de Louis-Ferdinand Céline, le génie des lettres françaises du XXème siècle. Adulé ou exécré (pour des mauvaises raisons selon moi) par les critiques encore aujourd'hui, en 2020, Céline déclenche automatiquement les réactions quand on évoque sa vie et son oeuvre.
Dufaux prend le parti de balayer l'ensemble de la vie de l'écrivain génial et sulfureux quand Christophe Malavoye il y a quelques années, toujours chez Futuropolis (La Cavale du Dr.Destouches) décidait de centrer son récit sur la période correspondant à la fuite de Céline dans une Allemagne bombardée en direction du Danemark. A ce titre, le scénariste ne fait qu'évoquer les épisodes les plus significatifs de la vie de l'écrivain. Son expérience de la Grande Guerre bien sûr, sa rencontre avec la future madame Céline, sa liaison avec Elisabeth Craig, sa vie avec Lucie Almansor (Lucette Destouches, morte l'an dernier- 2019), les pamphlets antisémites, ses relations avec Gallimard et Roger Nimier.
C'est un beau travail que réalisent ici les deux auteurs, Dufaux au scénario donc et Jacques Terpant au dessin en nous livrant cette évocation pleine de sens et résumant à merveille le caractère novateur, décalé et génial de l'homme Céline sans passer sous silence sa part d'ombre.

Vince92 - Zürich - 47 ans - 24 février 2020