Le Gardien
de Harold Pinter

critiqué par Septularisen, le 19 décembre 2017
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
« Qu’est-ce que vous faites… quand le seau est plein ?: - On le vide. »
La trame du «Gardien» (1960) est des plus simples. Au début de la pièce, Aston, un homme sans métier bien défini, sauve des coups, lors d’une rixe dans un café, un clochard assez âgé : Davies. Il l’accueille ensuite dans son logement, une simple pièce complètement encombrée des objets les plus divers.

Davies accepte du bout des lèvres l’hospitalité d’Aston et s’installe pour la nuit. Peu à peu il s’installe et accepte de cohabiter avec Aston. Mais très vite la promiscuité provoque des problèmes et des tensions apparaissent entre les deux hommes. Davies fait du bruit en dormant ce qui gêne Aston dans son sommeil, et Aston dort avec la fenêtre ouverte la nuit ce qui empêche Davies de dormir.

Davies devient très vite capricieux et exigeant. Il a peur de tout, ressasse tout le temps les mêmes souvenirs, et les mêmes désirs, a des phobies, est mythomane et volontiers raciste. Un jour, alors qu’Aston est parti chiner quelques objets de récupération, un inconnu pénètre dans la pièce et plaque Davies au sol, le rendant incapable de se défendre…

D’une écriture simple, comportant trois actes, mais aucune scène, (le temps qui passe est représenté par la lumière qui représente le soleil qui se lève ou se couche), cette pièce de PINTER se distingue par les nombreux moments de silence – rapportés dans le texte écrit par le mot « pause ». Comme toute les pièces de théâtre d’Harold PINTER que j’ai eu l’occasion de lire, celle-ci m’a fait forte impression et comme toujours m’a laissé une impression bizarre. Si le théâtre de PINTER est plutôt classé comme «Le théâtre de la menace», je reste à dire, - bien que l’auteur s’en défende énergiquement -, qu’il y a de l'absurde dans ses pièces et que Samuel BECKETT et Eugène IONESCO ne sont pas loin…

Il y a des moments de tension et d’inquiétude tout au long de la pièce et leur fréquence va en s’intensifiant. «Le Gardien» est drôle jusqu’au moment où il ne l’est plus! C’est tout d’abord la rencontre de trois individus, ni rationnels ni vraiment prévisibles qui refusent tout à tour, et sans vraiment savoir pourquoi, d’aller jusqu’au terme de leurs motivations et de leurs actions.
Ils n’ont pas de véritable identité (le nom des deux frères n’est d’ailleurs jamais dit dans la pièce), se parlent sans vraiment s’écouter (les dialogues sont futiles et insignifiants), sans savoir où ils sont vraiment. Ils sont dans l’immobilité la plus totale et dans l’indifférence à l’égard de ce qu’ils font ou faisaient juste avant. On a l’impression d’un double jeu permanent, comme si les personnages brassaient beaucoup d’air, et avaient un mal-être identitaire et existentiel qui emprunte les voies détournées d’un bavardage incessant et sans but. Le drame se déroule en fait à l’intérieur des personnages.

La pièce est «insaisissable» et constamment «instable» d’humour et de non-sens, d’émotion et de violence, d’observation et d’immobilisme. En profondeur, sans qu’il y paraisse, tout le drame de la promiscuité, de la cohabitation forcée se joue là… Le lecteur / spectateur se sent bien sûr perdu face à ses personnages et les situations dans lesquelles l’auteur les mets et c’est peut-être finalement le véritable but d’Harold PINTER…

Découvrez un extrait de la pièce ici : http://www.dailymotion.com/video/xvhgh0

Rappelons que « Le Gardien » a remporté deux récompenses prestigieuses l’Evening Standard Drama Award, à Londres, sacrant la meilleure pièce de l’année 1960 et le prix de la Newspaper Guild de New York.
Harold PINTER a quant à lui reçu le Prix Nobel de Littérature 2005.