Vous avez dit baroque ? : Musique du passé, pratiques d'aujourd'hui
de Philippe Beaussant

critiqué par Saule, le 17 mars 2018
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Le Baroque ?
"Pour comprendre le baroque il faut aller chaque année à Rome, y regarder les fontaines", aurait dit je ne sais quel musicologue ! C'est un peu snob comme réflexion, mais peut-être cela veut-il dire que le baroque c'est surtout un état d'esprit ? Pour comprendre le merveilleux héritage laissé par les artistes de cette époque, il faut faire abstraction des préjugés, de la manière dont on a toujours joué ces oeuvres, et retrouver leur manière de penser.

C'est entre autre ça que Philippe Beaussant nous apprend dans ce savoureux essai consacré au baroque et en particulier à la musique baroque. Il retrace l'épopée de quelques précurseurs - les Baroqueux -, des pionniers, des rebelles, qui redécouvrent la musique baroque, la joue et la mette en scène en respectant l'esprit de l'époque (avec les instruments d'époque, ce qui change beaucoup). Ce fut un coup de tonnerre, une révolution (dans le petit monde de la musique, s'entend). Bon, le livre date un peu (il est de 1987), et depuis la révolution est jouée, les baroqueux sont devenus "mainstream" et ce mouvement s'est même étendu à la période classique et romantique.

Ce n'est pas un ouvrage académique qui explique, classe les oeuvres et les périodes, c'est un essai dans tout ce que ça a de jouissif. Beaucoup d'anecdotes, ainsi j'ai beaucoup aimé comment l'auteur a dû aller en Australie pour voir tomber ses préjugés tenaces (la France a eu un rapport particulier avec le baroque). J'ai beaucoup aimé aussi sa rencontre avec Herreweghe, il avait été ému au plus haut point par son interprétation de la passion de Bach. Il parle aussi d'autres rencontres clés, avec enthousiasme, d'oeuvres marquantes re-découvertes. Il n'hésite pas à se mettre en scène quand c'est utile, il a une belle plume, beaucoup de verve et d'érudition et j'ai appris beaucoup de choses. Notamment que la clé du baroque c'est l'intention qui était d'émouvoir : tout est fait pour susciter l'émotion, tout est mouvement et cela est aussi visible dans l'art sacré (l'exemple sublime de ce que cet art parvient à susciter c'est la statue de Bernin mettant en scène l'extase de Sainte Thérèse).

Cela donne envie de ré-écouter les grand-chef d'oeuvre baroques, les passions de Bach en particulier. A notre époque, avec spotify et youtube, il est possible de comparer les interprétations, les anciennes qui faisaient référence avant les Baroqueux (Richter) et les nouvelles de Herreweghe ou de René Jacob, de Harnoncourt,.. bien sûr il faudrait une vie entière pour les écouter et les comparer, et si en plus on doit aller chaque année à Rome regarder les fontaines...
Un grand acteur de la musique baroque 10 étoiles

Fondateur et longtemps à la direction du Centre de Musique baroque de Versailles, Académicien, Philippe Beaussant livre ses souvenirs et ses émotions dans ce parcours qui le mène depuis l'Australie jusqu'à Versailles en poursuivant constamment la compréhension et l'installation de la musique baroque dans la paysage musical. "Saule" a fait une critique intelligente et sensible de ce livre à laquelle je n'ai rien à ajouter. Beaussant a tout compris de la nature de cette période baroque qui a touché, différemment selon les pays, tous les arts et en explicite les caractéristiques. Il s'attache évidemment à souligner les difficultés qu'a rencontrée la résurrection de cette musique. Il aborde tous les sujets en plus d'une définition précise de l'essence du baroque. Les liens étroits entre la composition de la musique et l'état de la facture des instruments. Les relations si fortes entre les textes et les phrases musicales. Il a fallu réapprendre le style d'interprétation de la musique, la facture des instruments et la manière de les jouer. Il évoque une pléiade de ces pionniers qui ont patiemment construit la reconnaissance du baroque par le public: en premier Alfred Deller, puis William Christie et les Arts Florissants, Philippe Herrewhege et la Chapelle Royale, René Jacods, Sigiswald Kuijken et les autres Contrairement à celui d'Harry Haskell, ce livre est facile à lire (Saule l'a bien souligné), plein de vie et d'anecdotes, mais aussi de réflexions profondes sur l'art et sa réalisation, jamais pédant, jamais jargonneux. Un vrai régal pour qui s'intéresse au sujet.

Falgo - Lentilly - 84 ans - 20 janvier 2022