Le naufragé du Zocalo
de Fabrizio Mejia Madrid

critiqué par Débézed, le 18 novembre 2017
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Vivre à Mexico
« Il faut recommencer. Oublier ces cinq années ne sera pas possible… Je quitte à jamais les lieux. Ou qui sait ; ici, on ne peut jamais dire que l’on ne retournera pas au point de départ. » Le point de départ, c’est à Mexico dans un appartement minable coincé entre une pompe à essence et une gargote ou des noirs s’envoient bruyamment en l’air au grand dam de la pudeur des voisins. Urbina occupe gracieusement ce local appartenant à une amie qui ne l’occupe pas, il raconte la galère qu’il traverse de 1997 à 2000 en quatre épisodes, un pour chaque année, mais pas chronologiquement, chaque année représentant un élément et évoquant un mois de l’année.

Le récit commence par l’évocation de l’histoire du héros en janvier 1998, cette partie du récit représente l’élément Terre, la terre considérée à travers sa dimension spatiale, l’immense espace que la mégapole a dévoré pour abriter, même très précairement vingt millions de résidents, il est difficile de parler d’habitants quand on parle de gens qui vivent dans les rues. Plus généralement l’auteur évoque l’espace qui est dévolu à chacun, un espace réduit au maximum même pour déambuler dans la ville.

La deuxième partie qui se situe en septembre 1997, évoque l’Eau, peut-être la plus grande calamité qui sévit à Mexico, l’eau qui provoque les inondations détruisant périodiquement la ville. L’auteur raconte comment, depuis la conquête espagnole, les autorités ont essayé de trouver le moyen de vidanger les eaux qui envahissent régulièrement la cuvette qui sert de centre à la mégapole.
La troisième partie concerne l’Air et ses événements se situent en octobre 1999. L’auteur illustre cet élément en racontant les visions futuristes et révolutionnaires ce certains illuminés qui, pour faire face au manque d’espace, avaient imaginé la création d’une ville suspendue pour dégager les artères encombrées de la ville.

Enfin, le dernier élément, le Feu, évoqué en décembre 2000, à l’extrême fin du millénaire, est la conséquence directe du manque d’espace et de la mauvaise gestion de l’eau, les habitations entassées les unes sur les autres dans la plus grande anarchie offrent la matière idéale pour la propagation des incendies géants qui embrasent régulièrement la ville. Le feu peut aussi évoquer le Popocatepetl, le volcan le plus proche de Mexico toujours en activité.

« La ville se nourrit de ses catastrophes, sans lesquelles elle languirait se détériorerait simplement. Les catastrophes l’aident à se projeter dans le seul avenir qui l’intéresse : se reconstruire et durer jusqu’à la prochaine, se préparer pour la suivante. »

Ainsi ce roman est à la fois le roman d’une mégapole folle, grossissant toujours de façon exponentielle, une mégapole de tous les possibles où tout est démesuré, irrationnel. Une ville où il devient impossible de vivre mais une ville que l’auteur ne peut pas quitter. L’auteur c’est un peu l’habitant moyen de Mexico, un homme encore jeune, qui ne trouve jamais de boulot, qui traîne ses savates dans la ville, n’espérant pas plus trouver un logement que le moindre travail. Il vit de galère en galère, se sépare de sa femme, essaie de supporter ses amis et s’accroche à cette ville comme un oiseau à son nid.

« A l’heure de ma mort, nulle part ailleurs que dans la ville où je suis né autant de monde ne m’aura méconnu. Peut-être est-ce ce qui me plait en elle : elle où l’on vient mourir, avec des millions d’inconnus qui s’observeront en hâte mais avec beaucoup d’intérêt dans leurs agonies hebdomadaires respectives du dimanche des douleurs au vendredi de la résurrection… »

Un portrait à l’acide de Mexico et de ses habitants, un roman sombre comme les Mexicains en écrivent souvent, plutôt pessimiste, mais qui laisse tout de même filtrer un rai de lumière car là où la vie est exubérante il y a toujours l’espoir qu’elle renaisse.