Mon père, ma mère et Sheila
de Éric Romand

critiqué par Nathavh, le 29 octobre 2017
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Mon père, ma mère et Sheila
Je bloquais un peu dans ma lecture en cours, j'avais envie d'une lecture différente et c'est ce premier roman que j'ai choisi. J'ai bien fait, un petit bonheur ! ♥

Quel bon moment de lecture en compagnie d' Éric Romand qui est né la même année que moi. Il décrit l'ambiance des années de son enfance, alors forcément cela me parle . Oh nostalgie quand tu nous tiens...

J'ai adoré l'ambiance de ce petit livre qui se lit trop vite. Éric nous raconte son enfance, pas drôle tous les jours. Un père macho, distant, peu liant. Une mère préoccupée par son intérieur, amoureuse d'un mari volage. Un manque d'amour et de communication flagrant.

Heureusement pour Éric, il a des grands-parents formidables qui l'adorent, les disques de Sheila, son idole lui apportent du réconfort.

Éric grandit peu à peu troublé par son homosexualité naissante.

Il nous présente un premier roman où de courts chapitres s'enchaînent sans lien apparent comme des flashs, des instantanés de son enfance.

Il se souvient des "sous pulls en nylon", de son premier mange-disques, du camping, des loisirs qui se limitaient souvent à la télé, clins d'oeil aux jeux de 20 heures, à Danielle Gilbert, Drucker ou Guy Lux... Il guette à chaque fois le passage de son idole : Sheila.

Toute une époque qui nous plonge à merveille dans les années 70. Ce sont aussi des années douleurs : le divorce de ses parents, la violence et un certain rejet de son père, une mère qui l'aime mais qui ne veut pas voir ou parler de l'essentiel : l'homosexualité de son fils. Il doit se construire par lui-même. Un récit touchant.

L'écriture est fluide, épurée, allant à l'essentiel. Elle est sincère, et c'est cette authenticité que j'ai aimée. Une fragilité qui m'a émue. Une plume à suivre. J'ai vraiment passé un excellent moment.


Coup de coeur pour sa sensibilité.

Les jolies phrases

Lorsque je suis témoin d'un élan de tendresse entre un père et son fils, je ne peux m'empêcher d'être surpris. Je marque un arrêt, ému de voir que cela se passe si naturellement.

- Maman, puisque tu voyais que j'étais attiré par les garçons, pourquoi tu n'as jamais cherché à en discuter avec moi ?
- Ben, j'attendais que tu m'en parles !

La noirceur de son regard sur moi était bien plus indélébile que l'encre de ces quelques lignes.
Le Romand d'un milieu social et d'une époque 9 étoiles

Le premier récit d’Eric Romand emprunte, pour la forme, aux travaux d’Annie Ernaux. Économie de moyens pour un maximum d’expressivité. Il nous retrace un milieu social populaire et une époque, celle, surtout, des années 60 et 70 en France où la chanteuse Sheila était coutumière des émissions de variétés. Mais on comprend vite que cette écriture blanche, sans le moindre pathos, n’est pas qu’une forfanterie de l’auteur.

Son orientation sexuelle non conforme est devinée, raillée très tôt par un père volontiers coureur, qui l’affuble de sobriquets peu amènes tels que la pisseuse (car il urinera tard au lit) ou bien tata, va le conduire à une vie de dissimulation. Tant sur ce point que sur celui du registre des émotions et des goûts propres à un adolescent plus attiré par les garçons que les filles, par Sheila que par Deed Purple, par le fait de parler chiffons que sport et qui ne veut toutefois pas se dissocier trop tôt de ses semblables et fait mine d’épouser leur mode de vie conformiste. Ainsi, Romand nourrit pour la figure de Sheila moins du désir qu’un sentiment d’identification. Il voudrait pouvoir revêtir les tenues de l’artiste. Son désir, par ailleurs de porter une robe à tout prix est à la fois cocasse et poignante.

Les relations avec son père ne s’arrangeront pas avec les années. Il ne pourra éprouver une forme de compassion pour son père que longtemps après la mort brutale de celui-ci qui, on peut le conjecturer à la lecture du livre, sera mort de n’avoir pas pu exprimer clairement ses choix de vie et d’une difficulté à s’épancher comme à se confier.

Par l’écriture, de ce récit, notamment, Éric Romand parvient à rompre le cercle du non-dit qui entravait les liens sociaux de sa famille, de son milieu. "Mon père, ma mère et Sheila" a ouvert une brèche que Romand n’est pas près de refermer et qui va lui ouvrir, à coup sûr, d’autres perspectives littéraires et humaines.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 6 mars 2019