Romain Gary le caméléon
de Myriam Anissimov

critiqué par Sahkti, le 12 mai 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Romain Gary par le détail
Penchons-nous sur l’imposante biographie que consacre Myriam Anissimov à Romain Gary. Une somme de connaissances et d’informations en tous genres, de la plus sérieuse au détail anecdotique pour nous permettre de mieux connaître cet auteur mystérieux affublé du nom de caméléon. Un homme aux multiples visages dont certains sont connus, comme cette attirance pour les femmes qui entraient et sortaient de sa vie (de son lit) comme les courants d’air dans une maison. Portrait peu flatteur pourrait-on penser mais rédigé par une femme, qui plus est proche de Gary, cela tend plutôt à l’amnistie générale des comportements parfois machistes ou discourtois de Gary à l’égard de la gent féminine. Gary aurait sans doute apprécié toute l’attention qu’on lui accorde aujourd’hui et il se serait réjoui de l’amour-admiration dévorant que lui voue Mme Anissimov, notion qu’il faut constamment garder à l’esprit pour comprendre le subjectivisme parfois dérangeant qui se dégage de ces 800 pages hagiographiques.

Toute la vie de Gary est présentée, sa douceur, sa tendresse, ses chagrins, ses conflits intérieurs, ses colères, ses illusions et sa solitude. La détresse face au départ de Jean Seberg (Anissimov s’étend beaucoup sur cette étape de la vie de Gary). Le malaise face au succès d’Emile Ajar qu’il ne contrôlait plus, une farce qui finit par le ronger.
Les amis de Romain Gary sont inquiets. Si les succès s’accumulent et que face aux objectifs, Gary tente de rester tout sourire, ils savent que derrière cette façade se cache un homme fragile constamment au bord du suicide, passant sans relâche de la mélancolie à l’excitation. Nombreux sont les épisodes pendant lesquels Eugenia Muñoz Lacasta, la gouvernante de Diego Gary, empêcha l’enfant d’assister aux crises de son père qui pointait un revolver dans sa bouche. C’est le portrait d’un homme instable que dresse Anissimov, retraçant les grandes étapes de sa vie, ses passions amoureuses et ses combats. Myriam Anissimov a recueilli les confidences d’un grand nombre de proches et de parents de Romain Gary, ce qui lui permet de nous livrer cette somme impressionnante d’informations.

Travail pas facile car en compilant et analysant toutes ces donnés, la biographe s’est rendue compte qu’elle allait en grande partie démystifier la légende Romain Gary, à commencer par son mensonge sur ses origines et sa naissance.
L’enfance de Roman Kacew est racontée, grâce à des archives polonaises et lituaniennes. L’histoire de sa famille nous est livrée, un pan du voile se déchire.
Plusieurs membres de cette famille apparaîtront dans les récits de Romain Gary sous la forme de personnages heureux auxquels tout réussit. Exorcisme dissimulé d’un passé difficile. Non, Romain Gary n’est pas le fils d’un acteur célèbre mais d’un fourreur juif persécuté.

Romain Gary porta de tous temps d’innombrables masques, autant de facettes difficiles à décrypter. La biographie de Myriam Anissimov permet d’y voir plus clair, c’est indéniable, même si cela dérange car son livre brise un peu/beaucoup la magie Romain Gary.
Je manque de place pour vous résumer la vie de Gary et vous donner la liste des révélations et informations de Myriam Anissimov. C’est une biographie à parcourir à petites doses, par chapitres, sinon ça devient vite indigeste mais c’est très intéressant. Romain Gary constitue une formidable matière première pour n’importe quel biographe courageux et passionné. Et il faut l’être pour ne pas soupirer d’amertume ou de dépit devant les mythes cassés ou les vérités découvertes. A l’aide d’archives publiques méconnues ou de documents privés confiés par Diego Gary, la vie de l’écrivain change de visage, il en devient subitement beaucoup moins divin et beaucoup plus humain.

Un gros regret cependant (et oui, c’eût été trop beau…), Myrima Anissimov passe, à mon avis, à côté de l’essentiel de sa biographie : rapprocher les faits de l’œuvre. Si l’énoncé minutieux de l’enfance et la vie de Gary est nécessaire, il aurait été bon de davantage déchiffrer les récits de l’écrivain parallèlement à ce travail de recherche. Chaque œuvre de Gary est un reflet de son âme, un témoignage de ce qui compose sa vie réelle, celle qu’il cache. J’aurais aimé un vrai travail d’analyse littéraire mais ce n’est sans doute pas là le travail d’une biographe. Dommage.
A propos de Gary 6 étoiles

Quel homme et quel écrivain ! Effectivement, une personnalité très difficile à cerner tant elle était cachée et multiple.

A propos de Gary et de Jean Seberg, il est assez intéressant de lire le livre "Diane ou la chasseresse solitaire" de Carlos Fuentes. Celui-ci rencontre Jean Seberg (Diane dans son livre) lors de la nuit du nouvel an 1970, bien loin de la France. Elle avait tourné "Jeanne d'Arc" et "Pierrot le fou" Au premier regard qu'ils se sont échangés Fuentes est tombé raide amoureux et ne rentrera plus chez sa femme. De Gary (Ivan Gravet dans son livre) il écrit en 1994: "Diane était l'épouse d'un auteur français très populaire, couronné d'un prix littéraire qui avait écrit deux très beaux livres; l'un sur sa jeunesse de réfugié de l'Europe de l'Est, l'autre sur son expérience de combattant pendant la guerre. ses romans plus récents semblaient plutôt destinés au cinéma et on en avait en effet tiré des films à Hollywood, mais ce qu'il écrivait était toujours intelligent, et de plus en plus désanchanté. Je l'imaginais capable d'une blague finale, énorme mais sans illusions."

Il devient l'amant de Diane qui semble aussi fragile qu'elle n'est belle, sauf quand il s'agit de défendre son Ivan dont elle dit:

" - Pour échapper à la tyrannie du metteur en scène, j'ai épousé un écrivain célèbre, plus fort que le réalisateur et tous les studios d'Hollywood.

- Assez fort pour toi aussi ?

- Ne dis jamais de mal d'Ivan.

- Je l'admire beaucoup, fis-je avec un rire cordial.

- Ne ris pas non plus quand tu parles de lui."

Fuentes n'arriva pas à la garder.

Plus tard, elle fut trouvée morte dans une voiture stationnée dans une impasse à Paris et c'est en 1980 que le FBI reconnut qu'il avait mené contre elle une campagne de calomnies.

Une partie de la vie de Gary et un grand choc dans sa vie car il tenait fort à elle.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 13 mai 2004