Un avant-poste du progrès
de Joseph Conrad

critiqué par Tistou, le 24 septembre 2017
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Colonialisme civilisateur
Dans la veine de « Au cœur des ténèbres », petite nouvelle illustrant le « progrès » tel qu’il était conçu au bon vieux temps des Colonies. L’Afrique, équatoriale, un poste avancé sur un fleuve. La Grande Compagnie a jugé bon d’y maintenir cet avant-poste :

« Deux blancs avaient la charge du poste commercial. Kayerts, le chef du poste, était gras et de petite taille ; Carlier, son adjoint, était grand, avec une grosse tête et un buste massif juché sur une longue paire de jambes maigres. Le personnel était complété par un nègre de Sierra Leone qui affirmait se nommer Harry Price. Toutefois, pour une raison quelconque, les indigènes, en aval du fleuve, lui avaient donné le nom de Makola et ce sobriquet lui était resté au cours de toutes ses allées et venues à travers le pays. »

Voilà donc nos deux « Bouvard et Pécuchet » envoyés là, pour au moins six mois, sans aucune expérience particulière, sans moyens particuliers. Survivre paraitrait déjà un mot d’ordre satisfaisant ! Ils vont être plus ou moins manipulés par la seule personne d’expérience sur le site ; Makola.
Ils sont censés faire du commerce, et notamment collecter des défenses d’éléphants mais ils sont incapables de la moindre initiative. Joseph Conrad va décrire la manière dont ils vont vivoter plusieurs mois dans l’attente du vapeur qui doit revenir, bénéficiant de la bienveillance du chef de la tribu locale qui les approvisionne en nourriture. Mais ils s’embêtent ferme, ne savent que faire et vivotent, c’est le mot.
Survient le drame, sous forme d’une troupe de noirs inconnus, potentiellement menaçants et avec qui l’initiative des contacts est laissée à Makola. Funeste erreur, principalement imputable à leur veulerie. La situation va dégénérer rapidement. Apparemment positivement puisqu’une grosse quantité de défenses d’éléphants va faire soudain apparition, mais très vite la vérité va se faire jour : Makola a échangé la paix et les défenses contre les hommes de la tribu locale. Ni plus ni moins qu’un acte d’esclavagisme. Pour la notion de progrès, on repassera ! Et l’enchainement va se faire rapidement avec les relations entre les deux blancs sous pression qui dégénèrent et le retour du vapeur et du directeur qui les a nommés.
Joseph Conrad est réellement doué pour nous faire ressentir le sentiment d’abandon et de délitement qui accable nos deux gaillards à partir de leur prise de poste. Un délitement accéléré par l’atmosphère délétère d’un avant-poste délaissé en jungle équatoriale fin du XIXème siècle. Il y a dû y avoir bien des situations terribles de ce genre.
Le progrès, l’action civilisatrice mon bon monsieur …