Otto le puceau
de Christophe Spielberger

critiqué par Bluewitch, le 9 mai 2004
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
L’écrit n’a pas de limite…
Et c’est un peu ce que nous prouve Christophe Spielberger. Que tout peut être écrit s’il ne peut être montré. « L’imagination au pouvoir ». Otto ou le délire d’une existence percutée en plein vol, aiguillage réamorcé, sur une route de campagne, par une biche à la croupe marquée d’une trace de pneu…
Otto et sa petite famille dans un monospace, les parents, la sœur, tout cela éclate avec un accident. De ces fragments de kaléidoscope, Otto est le seul survivant, même ses vêtements ont péri. Et c’est bien comme ça. La vie nouvelle, sans rien sur le dos, si ce n’est de nouveaux espoirs, peut-être.
Otto, l’étudiant en « alterologie » (perception de l’autre), c’est la confrontation de sa fraîche nudité avec un monde autochtone, celui du village de Montgrabe. Décidé à se transformer en distributeur de bonheur, aux plaisirs premiers qu’offre la vie « naturelle », de son aveuglant corps glabre il va offrir le ventre mou, le menton fuyant, les testicules impressionnantes et la beauté discutable aux yeux des habitants: Commodo, le jeune bougre aux capacités neuronales incertaines, Stuckel, le prêtre recyclé en épicier, Bompeck et Apacrass, les agriculteurs en guerre, Ruzal, le peintre silencieux, les Furnace, le couple de rentiers vétéran de la guerre du « Golf » (pas de faute d’orthographe), Biclou, l’ex-facteur aux tendances inavouables, Rinol, le « médecin »... Mais surtout Lucie, la jeune fille du village à la vertu depuis toujours contestée même si elle s’en défend, et petite amie de Commodo.
Première à apercevoir Otto à l’orée de la forêt maudite de Gabelune, Lucie est aussi la première à être séduite par ce gnome inconvenant, impudique mais timide… Et ne sera pas la seule.
Tout le village, d’abord en émoi, choqué par cette apparition indécente, se laisse charmer par Otto et son naturel, ses manières inhabituelles et son aplomb. Otto a envie d’être aimé, de tous, de toutes, et surtout de Lucie et de ses yeux d’absinthe : comprendre l’autre et l’aider à se réaliser et puis, particulièrement, trouver cet amour pour lequel il est, depuis vingt-cinq ans, resté puceau…

De cette confrontation naît un roman débridé, dense pourtant, où tout est à la mesure des personnages : fou ou chaleureux, pervers ou naïf. Tout est écrit, sans voile, c’est vrai. On ne sait pas trop où l’auteur aurait pu s’arrêter tant ce livre « se livre », expansif, sans entrave, imaginaire, visionnaire, illuminé et à la fois concrètement là.
Cet amour largement dispensé, cette bienveillance que notre Otto s’adresse tant à lui qu’aux autres, ce risque pris lorsqu’à vouloir se démontrer on perd le contrôle. Tout cela étonne, dérange, séduit, happe et bouscule mais en soufflant une originalité infinie comme l’est cette écriture, cet outil éternel qui fait vivre et sentir, dont Christophe Spielberger use avec délectation, humour et une terrible adresse.
A ne pas mettre entre toutes les mains dit la quatrième, ce livre détonnant et inhabituel ? C’est sans doute vrai pour ceux dont les mots aussi nus qu’Otto font frémir... quant aux autres, risquez…
Bravo, Bluewitch! 8 étoiles

Qu'ajouter à l'impeccable critique de Bluewitch? Rien. Sinon que Christophe Spielberger, qui a fait voeu d'imprévisibilité, atteint à nouveau sa cible. Une voix discordante dans le concert tristounet des lamentos réalistes, l'imagination vraiment au pouvoir, l'art de tuer le père dans les soubresauts de l'amour fou.
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Lucien - - 69 ans - 10 mai 2004