« Un amant de fortune » a été écrit en 2001, soit dix ans après la fin de l’apartheid. Il n’est donc pas un roman dénonçant ce qui opprima si longtemps la majorité des habitants de l’Afrique du Sud ; les non-blancs pour faire simple, mais il concerne un problème finalement d’une grande actualité dans nos contrées, le problème de l’immigration depuis des pays où la liberté n’existe pas, non plus l’avenir, l’immigration à but économique dans ce cas précis.
Abdou est employé comme mécanicien dans un garage de Johannesburg et c’est ainsi que Julie, blanche aisée, même si rebelle, le rencontre pour la première fois ; sa voiture est tombée en panne. On ne sait pas formellement quel est le pays d’Abdou, sinon que c’est un pays sans ressources propres. Allez, je miserais une pièce sur la Somalie ou un pays de cette zone d’Afrique de l’Est.
Plus important, Abdou est ce qu’on appellerait ici un « sans papiers ». Et même carrément un illégal puisque sous son vrai nom, l’Etat sud-africain lui a demandé de quitter le territoire et qu’il est resté sous une fausse identité. Il est employé, exploité, au noir par le garage et vit dans l’instabilité permanente. Une relation improbable se noue entre Julie, l’idéaliste, et Abdou, celui qui cherche une reconnaissance de son droit à exister et à prospérer. Julie aime Abdou. Nadine Gordimer nous le laisse clairement entendre. Dans le cas d’Abdou, certainement de l’opportunisme se mêle aux sentiments. Rapidement la réalité va rattraper Abdou et il est sommé de quitter le territoire.
Contre toute attente, Julie décide de le suivre dans son pays, aux franges du désert et où le statut de la femme n’existe pas en tant qu’individu indépendant et responsable. C’est surtout cette aventure qui captive Nadine Gordimer – et moi avec je dois le dire – et ses développements sont plus qu’intéressants. Marque des grands auteurs, elle dépasse – et de loin – le stade de la bluette pour emprunter des chemins de traverse philosophiques. Pour autant le rythme de l’histoire racontée est très différent des autres romans de Nadine Gordimer que j’aie pu lire. Elle qui procède couramment à la façon d’un entomologiste examinant chaque détail consciencieusement et progressant très lentement on a plutôt l’impression là qu’elle a pris de l’altitude, qu’elle envisage dès le départ la problématique dans sa globalité et que l’histoire est moins essentielle, moins fouillée. Au moins dans la première partie avant qu’ils ne quittent l’Afrique du Sud.
A mon sens un Nadine Gordimer qui sort de l’épure classique.
Tistou - - 68 ans - 1 avril 2019 |