Selon la préface de William Boyd, en hiver 1928, Madame Waugh, Evelyn, Elle-Evelyn pour la différencier de Lui-Evelyn, tombe malade victime d’une rubéole, le jeune couple décide alors de faire une croisière en Méditerranée pour que la jeune femme puisse se rétablir plus rapidement. Ils obtiennent la possibilité de voyager gratuitement en promettant en échange que Lui-Evelyn écrive un récit de voyage valorisant le bateau et la croisière. La croisière est en fait un véritable désastre, le couple se défait, Elle-Evelyn est malade et le retour en Angleterre est pénible. Lui-Evelyn s’isole alors pour terminer un ouvrage en cours et entreprendre la rédaction du récit de voyage qu’il a promis à l’armateur.
Waugh raconte ainsi une croisière qu’il aurait faite seul mais qui est en fait la croisière qu’il a faite peu de temps auparavant avec son épouse, se livrant à un exercice de dédoublement en se glissant dans la peau de l’ami du couple avec lequel il voyage et qui représente le couple qu’il formait avec son épouse lors de la précédente croisière.
Son voyage commence par Paris puis s’oriente vers la Méditerranée, à Monte-Carlo, pour se poursuivre sous forme d’une croisière vers Naples, Catane, Haïfa, Saint Jean d’Acre, Port-Saïd, où il abandonne le navire pour suivre le jeune couple dont la femme doit se faire soigner à terre comme lui a abandonné la croisière précédente, dans ce même port, pour faire soigner sa femme atteinte d’une pneumonie. Il reprend la mer, comme il l’avait reprise précédemment avec son épouse, pour la Méditerranée occidentale avant de retrouver son navire, le Stella Polaris, à Malte tout comme il l’avait fait avec son épouse lors de leur croisière.
Son mariage ayant explosé au retour de leur périple en mer, Waugh raconte son voyage à travers la Méditerranée en romançant un peu l’histoire pour laisser le couple qu’il formait avec Elle-Evelyn un peu en dehors du récit. D’une plume critique, acerbe, sarcastique, il décrit le monde déjà frelaté à cette époque du tourisme de masse qui se rue en troupeau dans les ports de la Méditerranée. Son regard est celui d’un Anglais convaincu de la supériorité de son pays : c’est toujours mieux en Angleterre ou éventuellement moins mal quand on ne peut pas dire que ça y est bien. Ces descriptions restent tout de même un excellent témoignage sur le monde puéril des croisières à la fin des années vingt et un regard acéré et lucide sur les grands ports du Bassin Méditerranéen qui a, aujourd’hui, valeur historique. Un regard que Francis Carco confirmera sept ans plus tard en visitant surtout les clandés. Sa description des métropoles, de leurs habitants, de leurs coutumes, de leur patrimoine est riche et précise, il s’appuie beaucoup sur un guide touristique célèbre à son époque, celui de Baedeker qu’il site abondamment. Il raconte un temps que nous avons peut-être oublié ou qu’il n’a pas vu comme ceux qui nous en ont parlé dans les décennies suivantes, un monde méditerranéen beaucoup plus homogène, beaucoup moins divisé, beaucoup moins éclaté, beaucoup moins déchiré, un temps où, par exemple, le racisme n’existait pas à Alger, si on le croit.
Dans ce premier récit de voyage, Il n’est en rien un explorateur, pas plus qu’un découvreur, il est simplement un observateur et un témoin de son temps qui a laissé son regard en héritage. « J’ai appelé ce livre Bagages enregistrés pour la simple raison que tous les endroits que j’ai parcourus lors de ce voyage ont été largement visités et décrits ».
Débézed - Besançon - 77 ans - 22 décembre 2013 |