La fracture coloniale : La société française au prisme de l'héritage colonial
de Nicolas Bancel, Olivier Barlet, Pascal Blanchard, Collectif, Sandrine Lemaire

critiqué par Falgo, le 30 août 2017
(Lentilly - 85 ans)


La note:  étoiles
Question majeure largement sous-estimée
Ce recueil rassemble plus de 20 contributions d'historiens, de groupes d'historiens et de spécialistes. Il met en perspective la complexité du sujet et l'analyse selon quatre points de vue: le premier est de lire à nouveau le passé colonial de la France; le deuxième consiste à observer que ce passé pèse quotidiennement sur son présent; le troisième examine le fait que ce passé est constamment évacué du débat politique et public - hors quelques manifestations viscérales ou officielles - comme de l'éducation des enfants; le quatrième tente de repérer où et comment la France perpétue aujourd'hui un système colonial.
Hors l'Algérie (1830), le France a constitué son "empire" colonial à la fin du XIX° siècle: compensation de la déroute de Sedan, établissement d'un statut de grande puissance pour contrer en particulier l'Angleterre, dynamisme interne, volonté de porter à l'extérieur les valeurs de la République et exercer une mission civilisatrice. Un consensus a fini par s'établir peu ou prou sur ces points dans la classe politique et dans l'opinion publique. A ces ressorts se sont superposées d'autres raisons: la supériorité de l'homme blanc et de la civilisation occidentale - fondée largement sur une anthropologie erronée - et, corollairement, sur le mépris des populations colonisées à l'encontre desquelles s'est souvent exercée une violence pensée comme légitime. Il est éclairant de relire à ce sujet le témoignage d'Albert Londres (Terre d'ébène, 1929) stigmatisant avec une ironie mordante les erreurs et les faiblesses de l'administration française en Afrique coupable d'avoir utilisé à grande échelle "le moteur à bananes" plutôt que d'introduire "le moteur à essence". Ce qui correspond au jugement selon lequel la République Française a pratiqué un système colonial qui trahissait ses valeurs. L'histoire des départements algériens en est une illustration criante où la pratique a contredit la théorie dont les discours officiels se sont gargarisés.
La France est donc aujourd'hui devant une grande ambivalence et une complexité certaine. Certains ont adopté une position tranchée (loi du 23 février 2005) et stipulent que "...les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer...". D'autres sont beaucoup plus nuancés, pour s'exprimer calmement. Tout se complexifie terriblement avec l'installation en métropole d'anciens colonisés, de leurs enfants et petits enfants. Ils deviennent des français juridiques mais pas tout à fait des français culturels. Ambiguïté et complexité s'emparent alors du débat public que l'Education Nationale évite soigneusement d'informer en éliminant quasiment des programmes le passé colonial. En fait il n'y a jamais eu dans ce pays un très large et très profond débat sur son passé colonial. Du coup tous les fantasmes, tous les discours partiels, toutes les semi-vérités fleurissent dans tous les coins des médias, des débats parlementaires ou des discussions publiques et privées. L'absence d'un vrai débat pèse de tout son poids sur la vie publique et y fait du mal.
La diversité de la France, rappelée "ad nauseam" par Fernand Braudel et cauchemar des autorités administratives, s'est encore accrue de cet apport et l'on ne sait comment prendre cet accroissement, surtout dans les circonstances économiques actuelles. D'autant plus que le débat sur le fond du fait colonial n'a jamais eu lieu. On n'a que rarement pu penser dans quelles conditions culturelles les français juridiques pouvaient devenir des français culturels. Certains pensent qu'il ne peut y avoir de discussion sur ce point, d'autres qu'elle devrait justement s'ouvrir. C'est probablement au plus profond de nos pensées politiques que se tiennent les racines des litiges. Reste un énorme travail à faire.
J'ai lu ce livre avec un intérêt constant. Toutes les contributions sont de qualité et j'ai apprécié particulièrement celle d'Achille Mbembe "La République et l'impensé de la race". Clairement, tous les auteurs plaident pour un examen informé et collectif du passé colonial de la France et de ses conséquences sur son présent et son avenir. Ce qui vent bien dire que le débat n'est pas clos, même si les positions d'historiens sont parfois sujettes à caution. Je manque actuellement de deux perspectives absentes de ce volume: une relation complète des raisons et des circonstances détaillées par lesquelles la République a été amenée à trahir ses valeurs; une recension exhaustive et contradictoire des méfaits et apports positifs de la République à ses colonies.