La voix des mauvais jours et des chagrins rentrés
de Jean-Luc Benoziglio

critiqué par Sahkti, le 3 mai 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Apprendre à se souvenir
Le héros de ce récit, c’est un lieu de vie situé près de Paris, un endroit qui accueille le retour d’un homme alors que le temps est gris, c’est contagieux pour l’humeur et les souvenirs. Une maison dans laquelle le narrateur vivait avec Julie, une jolie jeune femme rencontrée dans un cocktail littéraire. La description de celui-ci est assez originale, Benoziglio compile au fil des pages des bribes de conversation entendues et prononcées ce soir-là. De fil en aiguille, nous apprenons le moindre détail de la soirée. Beaucoup d’ironie dans le propos de l’auteur qui pointe du doigt la superficialité de ce milieu branché. A l’opposé de l’âme actuelle du narrateur, vacillant constamment entre le désespoir et la joie, se souvenant des bons et mauvais moments passés dans cette maison qui l’accueille une fois de plus. Autant d’humeurs permettant à Benoziglio de déchaîner sa plume, de nous dresser des portraits féroces de l’humanité (sous les traits du père de Julie et de sa nouvelle femme, sans parler de leur horrible chien), de nous raconter par le menu la vie d’une maisonnée toujours bruyante et emplie de monde. On y respire la vie, on s’y tue aussi à la tâche (c’est que ça ne s’entretient pas tout seul une grande maison, surtout avec autant de monde).
De jolies scènes de vie mais aussi de fameuses envies de gifler ce narrateur qui peut être exaspérant avec ses manies de reprendre chaque erreur de langage de ses interlocuteurs, de taquiner sa compagne pour des détails à propos des nouvelles qu’elle écrit, de tout commenter et critiquer… bref de quoi tendre une situation qui n’en a pas vraiment besoin. Cet homme est exaspérant, il est insupportable à vivre et tout le monde doit pourtant s’accommoder de lui, Julie en premier. Peu à peu leur couple étouffe. Inexorablement la rupture s’annonce, c’est la fin d’un couple et d’un partage.

Face à cette maison, il se souvient des rires et des larmes, de Julie, de ce qu’il lui a fait subir. Ce récit, c’est tout cela, les souvenirs d’un homme, ce flot qui jaillit à la surface pendant qu’il s’approche de sa maison. Tout se passe dans le jardin, notre homme s’assied sur une souche d’arbre et scrute les volets fermés, se remémore tous les instants. Physiquement statique (notre narrateur ne bouge guère), l’histoire est cependant diablement dynamique et bien emballée. Comme dans ses autres romans, Benoziglio (auteur suisse né à Monthey et parti à Paris il y a quarante ans) joue avec les mots et les émotions. Tout passe par le langage, la parole. C’est d’un monologue qu’il s’agit ici, d’un homme qui se raconte en faisant aussi parler les autres. On y retrouve cette virtuosité du langage qui a fini par agacer ses proches, ce sens du détail et de la perfection qui est parfois si énervant mais en même temps permet de situer chaque chose à sa juste place et de s’imaginer l’histoire de toutes ces vies avec une visualisation presque parfaite.