La jument de Socrate
de Elisabeth Laureau-Daull

critiqué par Tmichel, le 18 juillet 2017
( - - ans)


La note:  étoiles
Lecteurs, vous devrez un coq à Asclépios!
Chic! Une plongée dans la Grèce, et dans la meilleure: la classique, la démocratique, l'athénienne... C'est ce qu'on croit savoir de la cité d'Athéna, n'est-ce pas? C'est elle, pourtant, l'odieuse, qui condamne à mort ce précieux homme que fut Socrate, notre Socrate, l'accoucheur du sens critique occidental. Dans ce microcosme fertile et futile à la fois, scandale: la mesquinerie l'emporte, le sage, le vivifiant animateur de l'Agora devra boire la ciguë. Sa jeune épouse, Xanthippe, est dans tous ses états!
Le temps pour Hélios de parcourir une fois les nues, la pauvre femme court, court dans les rues d'Athènes, s'effondre, se relève et marmonne comme une folle, elle crie sa haine contre les imbéciles qui n'ont pas compris que son époux, c'est le miel intellectuel de la cité, elle supplie qu'on revienne sur cette inique condamnation. D'ailleurs, on verra ce qu'on verra, elle ira, elle, rencontrer Solon, les Onze, ces magistrats, les lâches!
On l'a compris, c'est Xanthippe qui tisse la trame événementielle du récit. Excessive, moquée pour son physique ingrat et son caractère de cochon, elle que Socrate appelle "ma belle" et que seul il sait pacifier, nous offre à travers son point de vue partagé entre révolte et chagrin, un panorama magnifique sur la vie athénienne et, en son centre, son époux sur la dernière scène de sa vie, prêt à quitter ce monde, sans colère. Personnage à la fois humble, bravache, ô combien attachant, quoique mégère, Xanthippe aime son amuseur public de mari, car c'est un homme irremplaçable pour la santé intellectuelle de ses concitoyens et puis parce que c'est un homme profondément bon, grâce auquel elle, "la jument jaune", a trouvé une place bien plus épanouie que femme n'en saurait trouver au sein de la société phallocratique grecque. Son caractère et sa clairvoyance, aidée par son époux, en fait une féministe avant la lettre.
Ce roman biographique, court (120 pages), nous tire par la main et nous emmène sur les talons et dans les pensées de cette femme audacieuse et impuissante. On est avec elle dans un débat intime houleux sans jamais se sentir enfermé dans un long monologue, car il y a de la tragédie dans ce désespoir cathartique. Et notre grand Socrate, petit homme plein de bouffonnerie et de sagesse, nous apparaît comme un saint et comme... un homme, rien qu'un homme. Mais quel!
Ecrit au présent dans une langue claire, tout à fait accessible, ce roman m'est apparu au début de ma lecture (le charmant et naïf dessin de couverture aidant) comme un livre pour la jeunesse. Un peu simplet, me suis-je dit d'abord. Ne pas s'y fier: ce livre est profond, si simple que soit sa trame. Il nous aide à nous connaître et à surmonter la démagogie ambiante de cette mondialisante Athènes qui fait notre quotidien.
Ce livre est une saine lecture après laquelle, lecteur, tu sacrifieras à Asclépios, qu'il existe ou pas, et en esprit seulement, - laisse chanter le coq sur tes matins!