Kenzaburo Ôé aux manettes, … il ne va pas être question de choses simples, guillerettes, avec bonnes fées et gentils chevaliers ! Mais un enfant handicapé mental, ou délinquant, dans la famille parait un des ingrédients obligés des romans ou nouvelles de Kenzaburo Ôé. Ici c’est d’un enfant handicapé mental, Eoyore, dont il s’agit. Entre autres.
Il faut dire que la vie de Kenzaburo Ôé a été marquée – on le serait à moins - par la naissance d’un enfant handicapé. Qui, comme Eoyore dans le roman, à force d’attentions et de soins affectueux est parvenu à composer de la musique. Kenzaburo Ôé part donc d’un vécu conséquent.
Le père de cette famille, Monsieur K. (tiens ! K., comme Kenzaburo ?), écrivain japonais (tiens !) à la confiance en lui limitée, est invité dans une Université californienne pour plusieurs mois. Sa femme, exceptionnellement va l’accompagner. Plus manifestement pour veiller sur lui que pour le « fun » californien. Vont rester à la maison, seuls et c’est une première, leurs trois enfants, grands maintenant même si toujours étudiants et vivant dans la maison familiale ; Eoyore, l’aîné, handicapé mental avec un minimum d’autonomie, veillé par Mâ, sa sœur et quelque part aussi par le frère cadet Ô.
Le roman va être la chronique de la valse lente de la vie de ces trois êtres pour la première fois amenés à se gérer eux-mêmes, rédigée par Mâ, étudiante en littérature travaillant sur « Rigodon », de Céline (tiens Céline ! un des amours de littérature et influence reconnue de Kenzaburo Ôé !). Et quand on dit eux-mêmes ceci ne concerne évidemment pas Eoyore.
Tout est cohérent psychologiquement et va évoluer lentement. Nous verrons les liens se resserrer progressivement entre les deux frères, entre Ô, jusqu’ici plutôt individualiste, et Mâ, dévouée d’entrée à Eoyore. Une péripétie majeure, gérée en douceur par Kenzaburo Ôé, l’évolution douce d’Eoyore, comme un petit miracle quotidien, l’évolution des relations à l’intérieur de la fratrie, tout ceci fait le sel de ce roman japonais atypique. Atypique aussi bien pour l’image mentale que nous avons du Japon et de ses habitants que par rapport aux autres romanciers japonais.
Et souvenons-nous que Kenzaburo Ôé a reçu le prix Nobel de Littérature en 1994. Je me demande, compte tenu de la spécificité des héros ainsi que des situations traitées, souvent « borderline », dans quelle mesure ce prix n’a pas fait grincer des dents au pays du Soleil Levant ?
Tistou - - 68 ans - 31 août 2012 |