Journal 2016
de Thierry Radière

critiqué par Débézed, le 15 juin 2017
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Une année avec Thierry
Depuis 2015, Thierry Radière multiplie les publications, c’est le neuvième livre de lui que je lis depuis cette date, il écrit depuis très longtemps mais ne publie régulièrement que depuis quelques années Il s’essaie à plusieurs genres littéraires de la poésie à la nouvelle en passant par des récits courts ou longs et d’autres formes encore. Je connais virtuellement Thierry depuis quelques années, non seulement j’ai lu la plupart de ces derniers écrits mais je le croise régulièrement sur les réseaux sociaux.

Cette fois, il se livre à un nouvel exercice, le journal, il a ainsi écrit et publié le récit de son année 2016, racontant sa famille, surtout son épouse avec laquelle il partage la passion de l’écriture (j’ai eu le plaisir de lire le livre qu’elle a consacré à son père qu’elle n’a pas connu, le musicien de jazz Elek Bacsik), sa fille qu’on voudrait voir définitivement guérie de la maladie qu’elle subit depuis sa naissance, mais surtout de sa passion pour l’écriture à laquelle il consacre beaucoup de temps depuis son adolescence.

C’est une impression étrange de lire sous la plume d’un auteur qu’on connait un peu, des informations, des réflexions, des anecdotes sur d’autres auteurs ou des éditeurs qu’on a eu l’occasion de lire, des auteurs et des éditeurs que parfois on connait un peu par les réseaux sociaux et même parfois des auteurs et éditeurs qu’on connait ou qu’on a eu l’occasion de rencontrer. J’ai ainsi eu l’impression de pénétrer par effractions dans un cercle où je ne serais pas forcément toléré, le cercle des poètes toujours bien vivants, le cercle des poètes qui n’encombrent pas les rayons des librairies, le cercle des poètes talentueux qui se débattent pour faire vivre leurs œuvres.

J’ai aussi eu une étrange sensation d’intimité, j’ai eu l’impression, à la lecture de ce livre, de faire un petit peu partie du cercle amical de Thierry car outre l’histoire de son épouse et celle de sa fille, j’ai aussi parfois eu l’occasion d’échanger avec des gens qui font partie des amis de Thierry. Il ressort ainsi de cette lecture une certaine familiarité avec l’auteur, une familiarité qu’il nourrit avec les anecdotes qu’il rapporte dans son journal.

Mais ce qui importe le plus c’est tout ce que l’auteur raconte sur sa manière d’écrire, son inspiration, les gens qu’il aime lire et qu’il apprécie particulièrement. Et, là aussi, j’ai constaté que nous avons des lectures communes, des coups de cœur communs pour certains textes, le même respect pour le talent de certains auteurs que nous aimons lire. J’ai ainsi eu l’impression de faire partie de la même famille littéraire que Thierry mais comme lecteur seulement. Il faut bien des lecteurs pour faire exister les auteurs.

Ce texte a été pour moi une immersion dans le clan Radière, dans son univers littéraire, dans son intimité d’auteur, dans ses joies et déceptions de publiciste et dans ses états d’âme. Je ne pensais pas qu’un journal pouvait prendre une telle dimension. Je connais maintenant mieux la passion d‘écrire de Thierry mais aussi son asservissement à cette passion et à la nécessité viscérale de la partager en publiant ses écrits pour ses lecteurs et en les échangeant avec d’autres auteurs. Lire un journal dont on est si proche, c’est aussi une façon de remonter le temps et de faire revivre certaines lectures qu’on a particulièrement appréciées, de revoir certains auteurs pour lesquels on a de l’amitié. Alors, j’attends déjà le Journal 2017.
L'année d'un écrivain 8 étoiles

À la demande de Jacques Flament, Thierry Radière s’est plié, l’année 2016, à l’exercice du Journal. C’est l’année de la mort de Delpech, de Prince, de Butor, celle de l’attribution du Prix Nobel de littérature à Bob Dylan, celle de la lutte sociale contre la loi EL Khomri… Ses notations sur les faits rapportés sont surtout prétexte à des considérations personnelles et littéraires. Un Journal que je me suis vite surpris à lire comme une fiction, celle d’un enseignant, par ailleurs auteur, père, mari et homme attentif à son épouse, à ses enfants et amis écrivains. Jusqu’à attendre la dernière notation qui clôt la chronique de l’année comme elle l’a commencé par une considération d'ordre pratique portant sur les kakis accrochés aux branches du plaqueminier comme s’il fallait marquer le retour du même par une balise ouverte sur la nature, sur l’extérieur...
Car on comprend que l’auteur a besoin de repères familiaux, amicaux, d’une relation enracinée dans le réel pour permettre à la fois de libérer son imaginaire et d'apprivoiser sa sauvagerie intérieure.

Thierry nous fait pénétrer sans effraction (ce n'est pas le genre de la maison) dans son univers familial mais aussi de son travail d’enseignant (avec des remarques fort pertinentes sur le métier et le milieu professionnel dans lequel il évolue) et son processus créatif d’écrivain, tout entier organisé autour de son amour de la littérature, entre écriture quotidienne et partage de lectures avec ses amis éditeurs, auteurs ou poètes, qu’il aime à citer à mesure qu’il reçoit de leurs nouvelles: Queiros, Roquet, Tissot, Rochat, Blondel, Vinau, Bergounioux, G. Lucas, Belleveaux, Emery, Perrine, Bonat-Luciani, Prigent, Goiri, Boudou, Prioul… Car, écrit-il, l’écriture d’un Journal a sans doute aussi cette fonction-là, entre autres, de mettre en relation des lecteurs et des références.

De temps à autre, il examine un concept à sa manière, il le sonde jusqu’à l’os et il en ressort des pages typiquement radieriennes qui rappellent ses nouvelles et ses poèmes. Il revient, un jour, sur l’écriture de Copies, où j’apprends qu’il s’agissait d’une œuvre de fiction alors que j'avais lu le texte comme un journal de correction d’un enseignant qui découvre par ailleurs l’amour. Ainsi Thierry slalome, depuis ses premiers écrits publiés, entre fiction et réalité d’une façon tout à fait singulière où l’ancrage dans le quotidien est aussi fort que son imagination est échevelée, imprévisible. Y compris sa poésie dont il nous livre régulièrement depuis longtemps des extraits sur sa page Facebook. Au fil des pages de ce journal, il nous livre aussi deux nouvelles inédites : "La canicule" et "La nuit".

Le 21 novembre, à un salon du livre, le député PS local (du parti du président Hollande à l’initiative de la loi El Khomri, à laquelle Thierry est hostile), Hubert Fourages achète sa plaquette Vos discours ne passent plus (Microbe, 2015) qu’il a cité dans son discours inaugural. C’est une énigme pour moi, note Thierry. Ce texte est un recueil anarchiste… Le monde des gens qui nous gouvernent est décidément un univers que j’ai du mal à saisir.

Le 3 août, il note : « Avec le Journal, le moindre mensonge est tout de suite décelable. » Juste notation car, à moins qu’il s’agisse d’un journal fictif où l’écrivain voudrait afficher une image trompeuse, l’écriture d’un journal pousse le diariste à se confronter à soi-même sans faux-semblant et dans un souci de sincérité. Il se livre au lecteur tel qu’il se reconnaît au jour le jour ; c’est en cela que l’exercice est risqué mais exaltant.

Voici un livre qu’il faut lire pour découvrir Thierry Radière ou pour parfaire la connaissance qu’on aurait déjà de ses divers ouvrages, et en attendant le prochain. Pour approcher un peu mieux l’homme et l’auteur, savoir de quoi sa vie journalière est faite, de quoi se nourrit son imaginaire d’écrivain...

EXTRAITS

« Il y a toujours comme un bruit de rêve dans les casseroles secouées de ma cuisine intérieure. » (2 janvier)

« Les enseignants ont souvent oublié les adolescents qu’ils furent. La fonction les a modifiés et ils attendent de leurs ouailles des prouesses qu’ils n’étaient peut-être pas capables de produire à leur âge. » (15 janvier)

« La publication est une drogue : plus on publie, plus on veut l’être. » (19 janvier)

« Rares sont les libraires offrant à leurs clients des petits livres qui sortent des sentiers battus. C’est cette littérature-là que Facebook m’a permis de découvrir. Je défends toujours ce réseau social quand il est attaqué. Qu’on choisisse de ne pas avoir de compte facebook parce qu’on n’a rien à y partager et qu’on ne veut pas passer sa vie sur un écran est un argument recevable et compréhensible. En revanche, prétendre que facebook est une perte de temps – si on a des créations à partager et d’autres à aller voir - est totalement aberrant. » (6 mars)

« … en général, les profs de français ne lisent pas, j’avais oublié, et encore moins des poèmes. » (10 mars)

« Je me disais que vivre, c’était peut-être meubler son vide à longueur de temps, que sans ce réflexe de décor intérieur, je finirais par m’appauvrir et à être de plus en plus envahi par l’inaction et la paralysie des sens. » (11 mars)

« Les coquilles ont la vie dure, elles s’accrochent toujours à un endroit qu’on pensait pourtant vierge de toute imperfection. » (6 avril)

« La rentrée scolaire commençait ce jour-là : en mille neuf cent soixante-trois. Mémère ne s’est pas trompée : je suis né à minuit quarante-cinq , à quelques minutes près et je n’ai fait que cela depuis que je suis né, aller à l’école. » (16 septembre)

« Je trouve mon équilibre pressé entre prose et poésie. Je distille le jus de cette pression abstraite entre images figuratives et phrases intempestives. Entre instantanés et longs métrages. Entre pointillés figés et tracés sinueux. Ainsi brinquebalé d’une pulsion à l’autre, je rejoins peu à peu mon obsession de toujours : trouver une certaine forme d’équilibre et m’en contenter afin de me sentir bien intérieurement. » (20 novembre)

Kinbote - Jumet - 65 ans - 22 février 2018