La fenêtre
de Liliane Schraûwen

critiqué par Kinbote, le 4 juin 2017
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Reflets dans la glace
Le matin d’un nouveau jour est comme une p(l)age blanche, caractérisée par le vide, le regard qui se perd dans le vague, dans la vague. Page et plage ramènent la séquestrée qu'est la narratrice à l’enfance. À cet effet, on a placé devant elle du papier, de quoi écrire et effacer.

Séparée plus que séquestrée car elle n’a commis aucun mal. Séparée d’elle-même pour commencer car, pour parler de sa vie dont elle est doublement éloignée, par le temps et la distance, elle utilise tout à tour la première et la troisième personne. Elle se nomme alors d’une seule lettre anonyme, L. Sans identité propre, il lui faudra du temps pour (re)donner des prénoms à ses enfants dont le nombre n’est d’abord pas clairement exprimé. Et cette indécision sur le nombre a une cause douloureuse.

Page après page, de souvenir en souvenir jamais totalement assumés car les vivre comme personnels est encore trop pénible, et, en partant de l’enfance, la narratrice va reconstituer le puzzle de sa vie de fille, de femme et de mère. Pour se trouver et se reconnaître à travers les différentes épreuves de son existence. Transformer le carré gris de la fenêtre en rectangle de vie, les glaces en miroirs.

Les glaces, c’est différent. Ceci est une glace. L peut y voir son reflet qui la regarde, froidement, comme du fond de l’eau. Mon reflet emprisonné par la glace, gelé à jamais, saisi tout vif et figé dans ce carré brillant qui est peut-être un cube. C’est très dangereux de laisser ainsi une image vivante de soi captive pour toujours. Et si la glace fondait ? Si l’image se réchauffait et prenait vie, même contre moi ?

En attendant, elle a devant elle le carré terne d’une vitre qui la sépare du monde, du présent. Un grand pas sera franchi, à double titre, quand elle s’en approchera pour regarder dehors. Pour aller de l’intérieur de soi à l’extérieur, il lui faudra du temps, de l’aide, du soutien, de cette force de l’enfant avant de naître, qui, pour sortir de l’intérieur de la mère, va traverser le couloir vers la lumière.

Le livre, dédié au vide, à l’absence, a été édité une première fois en 1994 puis une seconde en 1996, pour obtenir alors le Prix du Parlement la Communauté française de Belgique (actuellement Fédération Wallonie-Bruxelles) et être aimé de l’écrivain préféré de son auteure, J.M.G. Le Clézio.

Il ressort aujourd’hui à la lumière aux éditions MEO et est toujours d’actualité car l’enfermement de l’homme et, plus particulièrement, de la femme, dû à des facteurs divers, est intemporel. Liliane Schraûwen a su, qui plus est, trouver les bons mots, la forme juste, entre fable et récit, pour les rendre sensibles au lecteur, presque palpables, à tout jamais libérateurs.