Le châle de Marie Curie
de Déborah Lévy-Bertherat

critiqué par Nathavh, le 7 mai 2017
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Emotions en puissance
Deux femmes partagent la même chambre d'hôpital.

- Kahina, kabyle musulmane originaire de Tilist en Algérie. Elle arrive entourée d'une grande partie de ses douze enfants, elle est persuadée qu'on l'opérera demain d'un simple kyste au sein gauche.

- Elsa, juive d'origine polonaise et ukrainienne, célibataire, sans enfant. Elle est solitaire et atteinte d'un cancer au sein droit. Elle est illustratrice pour enfants, ce qui lui permet de s'évader dans sa famille de papier. Elle a déjà subi un long traitement.

Toutes les deux seront opérées le lendemain. Tout les sépare sauf leur opération.

Avec beaucoup de sensibilité, de pudeur, ses deux femmes vont le temps d'une nuit, se découvrir, se mettre à nu, partager leur vie.

Kahina racontera le drame de sa vie. Elles se livreront, partageront leur parcours de vie, leurs origines, les drames de leur vie et seront proches comme jamais.

Aucun tabou, aucune barrière pour parler de l'arrivée de la maladie, les étapes, l'acceptation, leurs souvenirs.

Une plume magnifique comme chaque fois, limpide, allant droit au coeur des sentiments et des émotions.

Un sujet qui me touche de très près pour l'instant et m'a fortement émue. Déborah plonge ici avec ses héroïnes au plus profond de soi, à la découverte de l'humanité qu'il y a en chacun de nous.

Merci pour ce beau moment d'émotions.

Ma note : 9.5/10

Les jolies phrases


L'idée d'affronter en solitaire les dernières heures avant l'opération l'effraie autant que l'intervention même.

Entre elle et eux, les lattes de bois se déroulent comme un fleuve qui sépareraient une ville en deux, une ville sans pont, où deux peuples habitent face à face sans se connaître, ni même se voir. Elle n'ira pas s'aventurer de leur côté.

Kahina l'a pourtant élevée à l'idée qu'Allah avait mieux à faire que de surveiller les barbes des hommes, les cheveux des femmes et l'ourlet des jupes.

A chaque échographie qu'on a faite de sa tumeur, elle s'est surprise à chercher sur l'écran la forme d'un foetus. Oui, c'est étrange, le cancer ressemble à une grossesse, ce mal de mer permanent, l'indulgence des proches, assieds-toi, repose-toi, je vais porter ton sac.

Au fond se dit Kahina, ce bruit que nous faisons lui tient peut-être compagnie, à cette pauvre voisine que personne ne vient voir.

Elle trouve cela ridicule, à son âge, de ne pas supporter la moindre séparation. C'est pour cela, au fond, qu'elle ne veut pas de visites à l'hôpital, pour ne pas voir ses amis repartir. Et si elle ne connaît que des liaisons passagères, c'est aussi parce qu'une vraie histoire d'amour risquerait d'aboutir à une vraie rupture, une vraie douleur.

Les hommes sont parfois désemparés devant la souffrance, même quand ce n'est pas la leur, et fuient pour ne pas voir. Dommage qu'il faille attraper une maladie grave pour découvrir q'ils vous aiment vraiment, qu'il faille risquer sa vie pour savoir ce qu'elle vaut.

La maladie est peut-être une chance, songe-t-elle, si en nous diminuant elle nous amène à nous réjouir de choses minuscules.

Le sein, c'est la vie, qu'un enfant n'est pas vraiment né tant qu'on ne l'a pas nourri.

Quand régnait la paisible loi des mères, le sang ne coulait plus.

Comme si comprendre pouvait vous protéger, en vérité c'est tout le contraire.

Est-on assez nu, dans ces moments-là, assez dépouillé de tout ce qui nous masque et nous maquille, pour atteindre ce noyau commun qui nous rapprocherait, le plus petit commun dénominateur de l'humanité ? Les hommes sont-ils égaux devant la maladie ? quand il ne reste que cela ? La mort est-elle plus douce pour les riches que pour les pauvres ?