Les mots des riches, les mots des pauvres
de Jean-Louis Fournier

critiqué par Sahkti, le 21 avril 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Ô mots cruels!
Savez-vous comment on dit Tahiti dans la langue des pauvres ? Palavas-les Flots. Grand cru se traduit par gros rouge et le Festival de Bayreuth par la Fête de la Bière.
Ces traductions sont de Jean-Louis Fournier qui livre ici un essai amusant sur le fossé social entre riches, pauvres et nouveaux riches. Un ouvrage naviguant entre humour et cruauté, voire une certaine pointe de férocité mais il faut bien reconnaître que Fournier pointe le doigt juste là où il faut, on a envie de dire "c'est tellement vrai", que l'on soit "riche" ou "pauvre".

L'hypothèse de départ de Jean-Louis Fournier est que riches et pauvres vivent dans des mondes différents et pas seulement sur le plan matériel, il y a une question d'état d'esprit là-dedans, du genre "Chassez le naturel..."
Fournier brosse un portrait sans concession de ces classes sociales et de leurs habitudes, de leurs différences, de leurs caractéristiques. Il évoque également l'adaptation du monde à ce clivage, en employant des exemple parfois nébuleux mais qui tiennent la route. Par exemple sur les différences de tissu des sièges de la SCNF entre première et seconde classe : "La SNCF doit penser que les pauvres se sentent moins dépaysés dans les endroits qui rappellent leur chez eux".
Quelques passages sont savoureux, comme le récit de Madame Pauvre qui remplit son caddie au supermarché de bons produits du terroir pour autant qu'il y ait une bouille sympathique sur l'étiquette, des "fruits gorgés de soleil et délicatement pressés", des produits vendus comme de la qualité et des créateurs de bien-être, faisant de Madame Pauvre la remplisseuse de portefeuille de Monsieur Riche, celui-là même qui possède le supermarché et se débrouille pour faire croire à Madame Pauvre qu'elle vivra comme les riches en achetant du poulet Père Machin ou du saucisson Justin Chose.
Le chapitre sur les nouveaux riches est un régal, eux qui se font construire une villa façon provençale en Picardie et se promènent à bord d'un monstrueux 4x4 équipé d'un pare-buffle à toute épreuve garé bien en vue avec André Rieux à fond la caisse. Bon, c'est cruel, j'en conviens, mais j'ai bien ri...
(A signaler la présence d'illustrations aussi caustiques que le propos au fil des pages).
riches vs pauvres 8 étoiles

Ce livre offre un parallèle des situations quotidiennes vécues par les riches, les pauvres et les nouveaux riches.

Si certaines prêtent à sourire, l'auteur ne manquant pas d'humour, d'autres laissent plus dubitatif et conscient du fossé creusé entre les riches et les pauvres.

Avec un style caricatural et caustique, Jean-Louis Fournier analyse les diverses étapes de la vie, les centres d'intérêts, la portée de certains soucis selon que l'on soit riche ou pauvre.

Un riche naît riche, un pauvre naît pauvre. C'est ainsi, on n'y peut rien, il faut faire avec... Le riche est hautain envers le pauvre, c'est dans sa nature, il ne fait pas exprès, et il faut bien qu'il marque sa différence...

Le plus pathétique est encore le nouveau riche, qui a toujours des réflexes de pauvre et brille par ses maladresses et ses fautes de goût... C'est normal, il n'a pas été façonné dans le moule, il ne connaît pas tous les codes et ne s'adaptera jamais au monde des riches qui s'en moquent.
Mais fort de son nouveau statut, il se révèle cruel envers le pauvre qu'il n'est plus...

Exagéré ? Peut-être pas, quand on y pense...

Nathafi - SAINT-SOUPLET - 57 ans - 2 juin 2013


Un régal ! 10 étoiles

Une petite analyse sociologique amusante des comportements et des attitudes de ces deux classes sociales qui se côtoient sans se connaître, au travers de leur vocabulaire, de leurs mots, de leurs expressions respectives. On y voit très clairement qu’il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade.
Un petit chef d’œuvre d’humour et de drôlerie qui permet à Jean-Louis Fournier de balancer quelques vérités bien dérangeantes sur un ton malicieux et faussement naïf. Un tas de petites observations vachardes ou touchantes, certaines proches de véritables aphorismes dû au talent de l’auteur de « Il a jamais tué personne, mon papa », « Mouchons nos morveux », « Où on va Papa ? », entre autres délicieux chef d’œuvres minimalistes.
Extraits : « L’été, le jardin de Monsieur Riche sent la rose, celui de Monsieur Pauvre sent la merguez et la sardine. »
« A l’église, les riches sont devant, les pauvres derrière. A la guerre, c’est le contraire. »
« Quand Madame Riche a des flatulences, Madame Pauvre pète. »
« Quand Monsieur Riche chasse le lion, Monsieur Pauvre chasse les mouches. »
« Madame Pauvre s’interroge : pourquoi on dit toujours pauvre con, jamais riche con ? »
« Tahiti, en pauvre, se dit Palavas-les-Flots. »
« Publicité, en pauvre, se dit vérité. »
« Hôtel particulier, en pauvre, se dit F3. »
« Fauchon, en pauvre, se dit Ed. »
« Villa provençale, en pauvre, se dit caravane. »
« 92, en pauvre, se dit neuf trois. »
Un régal comportant également de jolies illustrations.

CC.RIDER - - 66 ans - 16 août 2009


Si les mots seuls les séparaient… 6 étoiles

Merci à Sahkti tout d’abord, qui m’a donné envie de lire ce livre.
Je me contenterai d’ajouter quelques citations.
« Quand un pauvre est con, il le sait. Tout le monde lui dit. Quand un riche est con, il ne le sait pas. Personne n’ose lui dire ».
Sur les habitudes alimentaires des pauvres et des riches : « Quand elle était jeune et qu’elle travaillait à l’usine, elle était très jolie Mademoiselle Pauvre, et très mince. Les contremaîtres lui faisaient des clins d’œil. Madame Riche, c’est le contraire. Avant, elle était moche, mais grâce aux esthéticiennes, aux produits de beauté, aux grands coiffeurs, aux beaux vêtements, à la diététique, elle est devenue presque belle (…) ».
A propos des poulets en batteries que mangent les pauvres, cette réflexion d’un poulet (ben oui, il ose tout l’auteur) : « Il se souvient encore de l’impatience avec laquelle il a cassé sa coquille. S’il avait su, il ne serait pas venu. Il ne serait jamais sorti de l’œuf ». Il arrive aux pauvres de se dire la même chose.
Sur le sens esthétique chez les pauvres. Et je n’y vois pas de méchanceté. Peut-être même un rien d’admiration : « Monsieur Pauvre n’a qu’un mot pour dire quand c’est beau, il dit : ‘C’est beau’. Quelque fois, quand c’est trop beau, il n’a pas de mot. Devant un coucher de soleil au Tréport, il se tait ». En ce sens, il n’y a pas vraiment de vrais pauvres sur critlib…
Sur la valeur du temps chez les riches et les pauvres : « Pourquoi les salles d’attente sont-elles remplies de pauvres, jamais de riches ? ».
Et cette dernière qui ne brille pas par l’originalité mais qu’il vaut la peine de rappeler de temps à autres : « A l’église, les riches sont devant, les pauvres derrière. A la guerre, c’est le contraire ».
Eh oui, on peut prendre parti en lisant ce livre.

Bolcho - Bruxelles - 75 ans - 19 septembre 2004