Plus tard, je serai un enfant
de Éric-Emmanuel Schmitt

critiqué par Veneziano, le 30 mars 2017
(Paris - 47 ans)


La note:  étoiles
Garder l'esprit d'enfant pour mieux créer
Dans cet entretien avec une journaliste et amie, Mme Catherine Lalanne, Eric-Emmanuel Schmitt, prolifique écrivain à succès, livre une description de son enfance et de sa jeunesse. Cet exercice n'a rien de superficiel ou vain, car il détient un objectif, que le titre de l'ouvrage laisse transparaître. L'esprit de l'enfance permet de stimuler la créativité et d'écrire plus facilement.
Il s'en est lui-même rendu compte trop tardivement, au moins à son goût, car ses études brillantes, en grande école, de philosophie et son début de carrière d'enseignant l'ont accaparé, au point de lui forger une existence un tantinet trop austère à son goût, et le besoin d'écrire l'a conduit à un retour en arrière. Il s'en est ensuivi la profusion de sa création littéraire, et il fait entendre que ce serait la clé de son succès. Le thème de l'enfance est aussi traité assez régulièrement dans son oeuvre. Il entretient ses patients d'enfant, comme la musique, le goût de l'observation et de la découverte, comme du travail de sertisseur de son grand-père.

La lectrice et le lecteur pourraient craindre une étude contemplative de soi-même, mais il se dégage de cet ouvrage un sentiment de fraîcheur et justement une recherche d'humilité, là où ses statuts de normalien, d'agrégé de philosophie et d'écrivain à succès pourraient l'inciter à l'excès d'orgueil. En guise d'une sorte d'excuse, il expose ce qu'il est et ce qui le porte, et le résultat est plutôt rassurant.
Un homme serein 8 étoiles

Grande lectrice et admiratrice de cet auteur hors du commun, je n'ai pas fait attention en empruntant ce livre à son coté biographique qui, en général m'intéresse assez peu.
Mais dans ce livre, j'ai rencontré un auteur qui ose la franchise, le bonheur, la joie, la foi à une époque, où ce n'est pas de mise.
D'une modestie sincère, sans langue de bois, il assume ses chances, particulièrement celle d'être né dans une famille formidable d'amour, de culture, lui permettant dès ses plus jeunes années de grandir au milieu de la musique, du théâtre, des livres.
"Cependant, très tôt, des séjours chez des amis m'ont permis d'évaluer ma chance par comparaison : si je n'avais pas bénéficié de l'amour fort des miens, de leur ambition, de leur ouverture d'esprit, de leur bienveillance attentive, j'aurais sans doute aujourd'hui développé un conflit avec l'univers entier. Grandir dans un bain d'intelligence, d'énergie et de tendresse m'a donné le sentiment d'invincibilité."

Pour la lectrice assidue que je suis, je me suis inévitablement retrouvée face à des épisodes relatés déjà comme dans "La nuit de feu ". Mais j'ai aussi appris que les personnages de ses romans étaient souvent des hommages aux personnes ayant compté dans sa vie.
J'ai trouvé émouvant ce chapitre du "livre-enfant" où il confie que l'ambition des mâles vient de la frustration de ne pas porter la vie. "Mère, aurais-je éprouvé un impérieux besoin de créer ? Parce que je me réduis à un homme, un homme qui de surcroît, n'a pu avoir d'enfants pour diverses raisons, me voici condamné à transcender mon insatisfaction en engendrant une œuvre. Et moi-même, je nais de mes livres."

A la lecture de ce livre, on pourrait croire qu'il a toujours vécu dans le bonheur, sans traverser de périodes douloureuses, à part celle de son adolescence et sa crise de rébellion. Ce n'est bien sûr probablement pas le cas, mais au lieu de parler par exemple de la douleur de la perte d'un être cher, il confie les moments précieux qu'il a passés avec eux.
Pas de pathos, pas de confidences privées, mais une sorte d'explication de vie, pour cet homme debout, cet homme sincère et sans prétention.
"Comment expliquez-vous le succès de votre œuvre ?
Je ne me l'explique pas. Le succès demeure une surprise. Rien n'est dû ni acquis. Si je reste l'auteur de mes livres, je ne deviens pas l'auteur de leur succès. Le public transforme un roman ou pièce en succès."
Avant de terminer le livre avec quelques photos de l'album familial, Catherine Lalanne a rencontré la maman de l'auteur. Jeannine Schmitt "l'éveilleuse" ; regards croisés et complices, une relation fusionnelle sans être étouffante, libérée.

Un livre qui conforte, s'il en était besoin, mon admiration pour ce prolifique et talentueux auteur.

Marvic - Normandie - 66 ans - 13 septembre 2017