Les Angéliques
de Vincent Engel

critiqué par Hambraine, le 18 avril 2004
(Fosses La Ville - 73 ans)


La note:  étoiles
Candide fait la révolution...
Engel remonte le temps. Avec son Requiem Vénitien, il nous avait laissé à l’époque du Risorgimento après nous avoir fait traverser un siècle d’Italie, pardon, de Toscane, et après nous avoir ému au plus profond en nous conviant à oublier Adam Weinberger. Aujourd’hui, c’est à la veille de la Révolution française qu’il nous invite à pénétrer dans son dernier roman. Les Angéliques, c’est une fable ; Dans un pays perdu au milieu de la France, Candide invente la République. Le héros a pour prénom Népomucène ; fils du seigneur local (qui règne sur 200 âmes), il est imprégné des œuvres des Lumières qu’il rêve de mettre en application. Un événement va le lui permettre. Son père dans un accès de colère tue un de ses paysans. Sur ce fait divers s’érigera la République d’Avau (le nom du canton). Ce roman court qui se lit en quelques heures nous montre comment l’Idéal se pervertit au contact de la réalité. Cette république précède d’une année la Révolution français ; elle en est en quelque sorte le laboratoire où s’affrontent idéalistes, opportunistes et réalistes, les deux derniers groupes finissant par l’emporter sur le premier. C’est finalement cette Révolution Française qui viendra mettre un terme dans le sang à sa petite et prématurée sœur… Vincent Engel a déjà démontré dans ses romans précédents toutes ses qualités d’écriture. On ouvre ce roman et on n’en interrompt pas la lecture avant d’avoir tourné la dernière page. Sa langue est superbe et son écriture merveilleusement évocatrice. On retrouve dans ce roman les grands thèmes déjà abordés par l’auteur. C’est le constat d’un triomphe des barbaries sur la finesse, sur l’idéal humaniste… Le désespérant constat que l’homme est loin d’être le bon sauvage, cette créature qui aspire à la bonté, au beau… Ce n’est pas le discours humaniste du jeune Népomucène qui l’emporte mais la diatribe des tribuns, la grossièreté d’un Lachasse… Dans ce roman , à nouveau, Engel donne à la femme un rôle rédempteur.
Et puis dans ce livre il y a des clins d’œil de l’auteur à ses lecteurs. Une des héroïnes s’appellle Agnès et fait évidemment penser à l’Agnese du Retour à Montechiarro. On découvre les racines ancestrales de Sébastien Morgan et l’ermite que rencontre Népomucène alors qu’il fuit l’horreur de la terreur révolutionnaire fait étrangement penser à un certain Asmodée… J’ai aimé ce roman qui renvoie à des expériences que nous avons tous connues. C’est le roman de la déception des hommes ; c’est le roman de la dure confrontation de l’utopie à la réalité.
Balayons paix et démocratie 8 étoiles

Quel régal que l’écriture de Vincent Engel! Le sujet est pourtant ici assez différent de ce que j’avais pu lire de lui auparavant, mais le plaisir demeure intact.
Nous nous retrouvons à la période révolutionnaire, en juillet 1788, lorsqu’un violent orage balaie la France et dépose sécheresse et famine dans tout le pays.
C’est la désolation. Ivre de colère et de rancœur, l’horrible vicomte Baptiste de Ruspin (le comté d’Avau, terre perdue de 200 habitants), tue un de ses paysans sans véritable raison. Népomucène, son fils, profite de cet instant de folie pour évacuer son père et le remplacer, avec des idées plus démocratiques directement inspirées des philosophes des Lumières. C’est ainsi que naît, le 14 juillet 1788, la petite république d’Avau.
Le début d’autres ennuis. Le pouvoir est convoité et rend ambitieux, malveillant ; les hommes changent, la violence reprend. Sans compter qu’un jour, la France républicaine et sanglante voudra, elle aussi, sa part du gâteau, en reprenant sous son aile ce petit morceau de territoire qui se croyait indépendant. L’idéalisme prend fin au profit du réalisme. Désillusion totale.

Quel génie ce Engel, je le répète et ne m’en lasse pas. Le genre d’auteur qu’on ne lâche pas d’une ligne tant que l’histoire n'est pas terminée. Et encore… même là, on la prolonge dans sa tête et on lui en veut un peu de ne pas avoir pondu un plus gros bouquin tellement c’est agréable à lire. Le style est élégant et léger à la fois et le fond est interpellant. Le poids de l’idéal humaniste… plume et coton ! L’homme n’est pas un être de bonté et de justice mais un être vil dont les bas instincts se manifestent dès qu’ils en ont l’occasion.

Sahkti - Genève - 50 ans - 11 juin 2004