Neuf petites pièces
de Jeanne Bresciani

critiqué par Andres, le 6 mars 2017
( - 74 ans)


La note:  étoiles
L'échappée belle
« L’échappée belle » à propos du livre « Neuf petites pièces » de Jeanne Bresciani

Le style de notre langage se forge dans le mythe familial. C’est au cœur des images laissées par des circuits de la mémoire et des paroles prononcées par les êtres proches sur lesquels se cristallisent nos affects les plus aigus, que notre identité se constitue, déployant à son tour fantasmes, désirs et énonciation.
La narratrice de cette fiction a eu l’audace d’affronter carrément la maison familiale, ses objets, ses photos, ses draperies, ses meubles, ses fétiches, d’ouvrir porte après porte les neuf petites pièces au risque d’y être absorbée. C’est un acte courageux qui trahit cependant l’expression d’une angoisse, celle d’en apprendre trop sur les conflits et les douleurs à l’œuvre, mais aussi celle de découvrir - ou pas - sa propre place à partir de laquelle peut surgir un avenir pour soi. Et lequel ?
« Tant qu’il n’est pas l’heure on ne naît ni ne meurt »… Est-il édicté dans la cuisine. Dans cette cuisine il est difficile de manger mais il y a l’œuf de l’Ascension et les œufs magiques de la terrible mammo’, la force des quatre éléments et le nombre d’or. C’est dans la cuisine que Lucie, cousine de la narratrice, « retirée en elle-même » mastique et manipule en imagination allusions, énigmes et proverbes, des mots quoi ! Nous y voilà, au cœur des mots, au cœur du désir inconscient de Sérena, la narratrice : produire du langage.
C’est dans la chambre des parents que se déclenche la pensée chez Serena : « le miroir réfléchit la lumière naturelle comme un blanc salutaire dans la pensée » écrit-elle. Ce pourrait être le blanc d’un trauma mais aussi celui d’une page blanche sur laquelle écrire… Au lieu de se pencher sur les évocations nécessairement traumatisantes, faites de silences, d’effrois et de volupté, Serena opte pour une traduction, celle de l’invisible. C’est dans cette chambre que la narratrice prend sa décision : avancer pas à pas au cœur de ce retour dans la maison familiale. Forte de l’expérience de Lucie : « Nous venons de plus loin que cette vie », son courage est immense dès l’entrée car, enfant, elle a perdu sa chaussure rouge dans un ravin de montagne et sa mère, qui a bien tenté de la récupérer « n’est jamais remontée du précipice ».
Si la narratrice, au lieu de transgresser les images par de l’écrit, s’en était tenue à leur reflet, le risque de nostalgie eût été patent. Il n’en est rien car le regard de Giuseppina, l’arrière grand-mère, est vivant, bienveillant. Mine de rien, le socle parental tient et transmet de la grâce, du mouvement, du réconfort invisible.
Tout est histoire, chaque petite pièce en recèle des traces et Serena, tel le petit poucet la découvre par bribes, ici derrière un ruban, là sous la forme d’une bague. D’ailleurs dans le cagibi se cache la vieille Remington d’Adèle, la grand-tante. Et c’est dans la chambre de cette dernière que se pose la question de fond : « Faire de la maison un livre » ?
Portée par ses mots, Serena avance jusqu’au salon rouge, lieu de rédemption, s’il en fut, d’abord celui de Luigi, l’arrière grand-père, puis le sien probablement, à moins qu’il ne se présente, hors les murs, dans le jardin familial, primitif, qui constitue un éden à sa mesure.
Toujours est-il que dans l’œuvre de Jeanne Bresciani, c’est « le style qui nous donne la mesure du réel » : « Aucune épreuve ne pourra plus me consumer si j’arrive à la considérer comme une expérience nécessaire et si l’éternité d’une flamme envahit l’instant »
par Andrès

Editions portaparole. 228 P. 18 euros
Le "scintillement du verbe" 10 étoiles

Le mérite des petits éditeurs est de nous faire découvrir, parfois, de vrais talents négligés par la presse et les média officiels parce qu’ils dépassent l’entendement de leur siècle. Tel est le cas avec le nouveau livre de Jeanne Bresciani intitulé « Neuf petites pièces » et publié aux éditions Portaparole.
Balzacien dans l’évocation de ses personnages et de leurs sentiments, ce récit envoûtant, écrit en style majeur, ne se contente pas de séduire le lecteur par une intrigue familiale captivante, il le fait pénétrer dans une nouvelle dimension, révélant, de ce fait, d’autres états du corps, de la conscience.
Il est impératif de le lire pour sa vision singulière du réel et aussi pour réjouir votre âme comme le ferait, selon l’auteur, « le premier scintillement d’une rivière ».
En ces temps troublés et incertains, Jeanne Bresciani, semble avoir retrouvé le secret des « paroles vulnéraires », celles qui guérissent les blessures de l’enfance provoquées par l’ignorance, la jalousie et les préjugés de ce monde. Un grand et beau livre !
Aquila Avril 2017

Aquila - - 87 ans - 9 mai 2017


Entre ombre et lumière. 10 étoiles

Le récit de Serena, la narratrice, s'ouvre sur un héritage : sa grand-mère Faustine (surnommée mammò), qui l'a élevée à la place de sa mère, lui lègue un appartement bastiais de neuf pièces. Ce qui éveille en Serena des souvenirs de famille dont la part d'ombre est omniprésente...
Mammò, férue de magie noire et de rituels occultes, détient un secret de famille terrible et insoupçonné qui touche personnellement Serena.

Serena émaille son récit d'extraits de lettres que sa cousine Lucie, écrivain au talent mésestimé, lui a adressées au fil du temps. Elle évoque particulièrement la haine irraisonnée de sa sœur Irène à son égard, son douloureux départ de la maison familiale, sa lente et difficile reconstruction. Les vies passées pourraient, selon elle, expliquer les épreuves endurées dans cette vie : « Lucie [...] avait acquis l'intuition que nous venions de plus loin que cette vie ».

Outre une réflexion poétique sur la mémoire, portée par une langue riche, l'auteur nous livre, par la voix de Serena, ses considérations sur une spiritualité à double visage : celui de mammò, qui, tentée par les ténèbres et la puissance du Diable, invoque esprits et entités malveillantes, et celui de Lucie, à la sensibilité exacerbée, versée dans un mysticisme lumineux inspiré par les philosophies orientales. Car, depuis la nuit des temps, « l'ombre et la lumière œuvrent de concert »...

Au fil de ces « neuf petites pièces », Jeanne Bresciani nous entraîne dans une histoire familiale émouvante, peuplée de personnages singuliers et pittoresques. Chaque pièce livre son passé et ses secrets par le biais d'objets, de vêtements, de meubles ayant appartenu à l'un ou à l'autre. L'auteur excelle à recréer l'atmosphère du lieu, où plusieurs générations ont vécu, où des membres de la même famille se sont côtoyés en une harmonie souvent fragile. Leur disparition n'est pas une fin en soi, si l'on croit comme Lucie aux « incarnations successives » : « Si cette hypothèse ne guérit pas toutes les blessures, elle permet de comprendre et finalement d'accepter les causes de nos errances... », explique-t-elle à Serena, qu'elle semble considérer comme sa fille spirituelle.

Bien plus qu'une saga familiale, le livre de Jeanne Bresciani est une réflexion passionnante sur la mémoire, l'écriture, la profondeur de l'âme humaine : « Nous appartenons à des cycles de mort et de résurrection », affirme Serena, évoquant ainsi le samsara des bouddhistes. Mais l'auteur nous met également en garde contre les forces obscures à l’œuvre dans le monde, et prône la nécessité de les combattre. Par Serena, Jeanne Bresciani nous livre ses inquiétudes, mais aussi son espoir de voir gagner la Lumière, face à des ténèbres dont la puissance ne cesse de croître... Un livre indispensable pour tous ceux qui ont l'intuition que l'esprit triomphe de la matière, et plus simplement pour les lecteurs en quête de vraie littérature, comme on en trouve de plus en plus rarement à l'heure actuelle. Jeanne Bresciani démontre avec son brio habituel que la médiocrité n'est pas une fatalité... En résumé : un livre à lire de toute urgence !

Regina - - 36 ans - 25 avril 2017