Les parapluies d'Erik Satie
de Stéphanie Kalfon

critiqué par Hcdahlem, le 27 février 2017
( - 65 ans)


La note:  étoiles
Les parapluies d’Erik Satie
« On n’envie jamais les gens tristes. On les remarque. On s’assied loin, ravis de mesurer les kilomètres d’immunité qui nous tiennent à l’abri les uns des autres. » Dès ces premières lignes, on comprend que Stéphanie Kalfon ne va pas se contenter de retracer la vie d’Erik Satie, mais dépeindre une atmosphère, un cheminement, tenter d’expliquer le mystère qui entoure encore aujourd’hui ce compositeur et pianiste à nul autre pareil.
Pour cela, elle va faire fi de la chronologie, commencer par nous présenter «le petit homme hors norme» en mai 1901, alors qu’il a 35 ans, qu’il chemine à pied de Paris à Arcueil parce qu’il n’a pas les moyens de faire autrement pour regagner cette chambre de la rue Cauchy où règne un chaos indescriptible, entre deux pianos qui ne sont plus en état de marche et… quatorze parapluies. Arcueil rime avec cercueil.
Il se retrouve dans la misère après avoir perdu les siens, s’être fâché avec le tout-Paris de la musique, délaissé ses amis et Montmartre où il avait pu, sous l’aile protectrice de Rodolphe Salis, le patron du Chat noir, exercer son métier de gymnopédiste.
Car « depuis toujours il promène sa partition interne hors des musiques à la mode. Taillé pour l’exil, lui se fiche pas mal des « Périmés » et de l’Académie. Ses contemporains se sont embarqués sur un vieux bateau « modern style » et prennent l’eau jusqu’au bout des mâts. Son embarcation à lui, c’est le bout de ses mains. Tout ce qu’elles peuvent dire sans un mot, à leur façon. D’une manière si inimitable qu’elle retient l’oreille de l’Assemblée, elle étonne. »
Au fil de courts chapitres, il sera alors temps de remonter le temps, celui de l’enfance et déjà, de la mort qui rôde. À six ans, sa mère meurt. Avec son frère Conrad il retourne à Honfleur chez ses grands-parents. Mais sa grand-mère meurt est retrouvée à son tour morte sur la plage. Voilà les deux frères de retour à Paris. Erik y apprend le piano, entre au Conservatoire, mais ne tarde pas à refuser des règles qu’il juge désuètes. Il est renvoyé et, aussi curieux que cela puisse paraître, décide alors d’intégrer un régiment d’infanterie.
Bien entendu, il va vite constater que l’armée n’est pas faite pour lui et se fait réformer en se promenant poitrine nue dans le froid hivernal. Suivront les années montmartroises et la rencontre avec les poètes, les peintres, les musiciens parmi lesquels Claude Debussy tiendra sans doute un rôle majeur, entre fascination et rivalité. Non décidément, il reste en perpétuel décalage dans un monde qui est pourtant en train d’entrer dans la modernité. Après l’exposition universelle, le XXe siècle apparaît, celui du jazz et du coca-cola. Celui des gymnopédies et celui des trois morceaux en forme de poire aussi. Car le génie de Satie ne sera vraiment reconnu qu’après sa mort.
En lisant Stéphanie Kalfon, comment ne pas vous suggérer d’écouter en fond sonore cette musique si originale ? En (re)découvrant l’homme, vous (re)découvrez ainsi les principales œuvres d’Erik Satie. Vous verrez alors que le petit homme seul méritait cet hommage sensible, baigné de mélancolie. http://urlz.fr/4SlY
Erik Satie à vif 8 étoiles

Ce livre, qualifié d’ailleurs de roman, n’est pas vraiment une biographie dans le sens où on l’entend d’habitude. C’est plutôt des impressions à vif, à chaud, sur le musicien tourmenté que fut Erik Satie tout simplement parce qu’il était « trop jeune pour une époque trop vieille », montré du doigt par ses contemporains, gagné par la pauvreté, la solitude, l’alcool.

Extraits :

- (Juste après le décès d’Erik Satie, Jean Wiener écrit)
« C’était tragique, absolument tragique. Au deuxième étage, il y avait un w.c. tout à fait public et tout à fait indiscret, et il y avait cette porte qui était la sienne. Nous avons forcé cette porte et nous sommes entrés dans une chambre misérable. Il y avait un lit en fer sur lequel il y avait des couvertures de la SNCE, pas de draps, et partout une poussière absolument extraordinaire. Nous avons eu l’impression d’étouffer et avons essayé d’ouvrir la fenêtre mais nous n’avons pas pu y arriver parce qu’il y avait des années de poussière qui la bloquaient. Nous avons regardé un peu partout, et nous avons été saisis par la pauvreté, la misère de cet antre. C’était tellement énorme que ce n’était plus de la saleté, on avait l’impression d’être dans une immense toile d’araignée. »

- Ici demeure Erik Satie que l’on prit pour un fou, un misérable, un fumiste, un analphabète musical, un fantaisiste, un raté, un aigri, un maniaque, un ivrogne, un clown, un paranoïaque et oui, certainement qu’il fut tout cela à la fois. Mais si on prend le temps de se pencher sur la ligne de sa vie, sa portée, tout ce que l’on distingue, c’est du jazz. La vie de Satie n’a été qu’un zigzag, un croisement de blues et de ragtime, un mélange de spleen, de fête, d’enthousiasme, de déception, de crises et de défaites.

Catinus - Liège - 73 ans - 4 décembre 2017