Riz
de Su Tong

critiqué par Myrco, le 7 février 2018
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
Noirceur et fatalité
Su Tong, l'un des écrivains les plus en vue de la littérature chinoise contemporaine, s'est surtout fait connaître chez nous pour son roman "Epouses et concubines" adapté à l'écran par le réalisateur Zhang Yimou.
"Riz", publié en Chine en 1991, décrit le parcours ascensionnel et la chute d'un homme, Wulong, dans un univers violent et corrompu, nous livrant une vision profondément pessimiste de la nature humaine et de la société. Certains ont voulu y voir les répercussions des évènements traumatisants de Tien'anmen survenus peu de temps avant son écriture. Je ne sais.
Au vu des rares avis de lecteurs trouvés sur cet ouvrage (étonnant), il semble que certains aient été rebutés par la noirceur du tableau et le caractère délibérément vulgaire, voire ordurier de certains dialogues, à la hauteur du niveau de bassesse des personnages. Dommage car si j'avoue avoir éprouvé au départ le même recul, la manière très construite dont l'auteur déroule l'intrigue, et surtout dont il joue - fort brillamment - du motif récurrent du riz autour duquel s'articulent à la fois le destin et la névrose obsessionnelle du personnage principal n'ont cessé tout au long de ma lecture d'accroître mon intérêt et ma reconnaissance de la qualité littéraire indéniable de l'ouvrage.
En effet, si ce motif intervient à toutes les étapes de la vie de Wulong, il devient presqu'ici un élément central du roman, pourvoyeur de vie mais aussi de mort, objet de fétichisme sexuel, et en même temps seul fil qui, dans ce monde étranger, relie le personnage à ce dont il est issu, source d'apaisement et de douceur lorsqu'étendu dans le tas de riz, il y retrouve la sécurité du cocon maternel...

Mais, venons-en à l'histoire...Années 1920... les famines sévissent à répétition. Affamé, le jeune Wulong se voit contraint de fuir les rizières inondées de son village natal pour ne pas connaître le sort de ses parents vingt ans plus tôt. Via un train de marchandises, il atteint une ville portuaire du sud. Choc du premier contact: d'abord avec la ville dépeinte comme un univers de saleté, de pollution, de misère et de dépravation; ensuite avec la violence et l'humiliation lors d'une mauvaise rencontre, évènement fondateur de sa haine envers lui-même et l'un des personnages qu'il croisera ultérieurement. Ses pas le mèneront à une boutique de riz tenue par la famille Feng, le père et ses deux filles Zhiyun et Qiyun, jeunes et séduisantes. Là, va se jouer son destin. Embauché comme commis contre pitance, manipulé, blessé dans sa chair, se sentant avili, humilié, il trouvera dans sa rancœur et sa soif de vengeance les ressorts de son ascension. La suite, je vous la laisse découvrir au fil de ce récit fertile en péripéties qui décrit son itinéraire et en partie celui de sa descendance jusqu'aux années 1940 sous occupation japonaise.

Le roman a pour cadre le milieu du petit commerce et de la pègre sous la houlette de caïds locaux tirant leur position dominante du trafic de l'opium et des armes. La tonalité en est résolument sordide, d'une noirceur absolue. Avarice, cupidité, violence, luxure et j'en passe, régissent les relations "humaines". Les sentiments qui animent les individus s'avèrent très rarement positifs et ne sont que haine, colère, mépris, rancœur, aucun d'entre eux ne parvenant à susciter notre sympathie à tel point que l'on se sent parfois plus en présence d'une fable (et probablement est-ce le cas) que d'un roman réaliste.

Sont brassés les thèmes de la ville corruptrice des corps et des âmes, des relations familiales conflictuelles, de la discrimination sexiste vis à vis des femmes ravalées au rang d'objets et surtout de la fatalité, la notion de déterminisme y jouant un rôle prépondérant. Si un fort appétit sexuel et la présence de pulsions criminelles préexistent déjà dans la nature de Wulong, ce sont bien les tentations induites par le contexte et l'immoralité de la famille Feng qui, en les libérant, finiront par le mener à sa perte.

Ici, pas de forme sophistiquée mais un récit linéaire rigoureusement construit sur les ressorts du parcours de Wulong, une expression volontairement détachée et sobre nonobstant les caractéristiques énoncées d'entrée. Si l'addiction de Wulong au sexe joue un rôle important, le récit ne comporte pour autant aucune description à caractère pornographique.