Mars
de Fritz Zorn

critiqué par Kinbote, le 12 avril 2004
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Généalogie d'un cancer
En apprenant qu’il est atteint d'un cancer, un homme de trente-deux ans décide d’écrire son autobiographie. Mais, précise-t-il très vite, « il ne s’agira pas ici de Mémoires au sens ordinaire mais plutôt l’histoire d’une névrose ou, du moins, de certains de ses aspects. » C’est qu’il est persuadé que son cancer découle de la névrose qui n’a cessé de le hanter toute sa vie, sans cependant jusque là avoir été déclarée par lui comme telle... Cette assurance d’un homme encore jeune qui pense que sa névrose est cause (à tort ou à raison) de son cancer est ce qui crée le malaise, et presque la monstruosité, de ce livre présenté par son auteur comme un essai.
Etrangement son cancer le sauve, lui permet d’écrire en revenant moins sur les (non) événements de sa vie que sur l’état d’esprit dans lequel il les a traversés.
Il a vécu sur la rive droite du lac de Zurich dans un milieu bourgeois très aisé dans une sorte de meilleur des mondes possibles où tout lui était présenté sous l’angle de l’ harmonie ; ce qui ne s’accordait pas à cette l’idée était automatiquement qualifié par ses proches de compliqué ou bien de ridicule.
Un sens de l’ harmonie qu’on retrouve jusque dans sa façon d’écrire. Rien à voir avec l’urgence qui transparait dans l’écriture des derniers livres de Hervé Guibert (qui ne pouvait supporter de se relire), une dizaine d’années plus tard. Un autre point commun entre les deux jeunes hommes atteints par un terrible mal, l’influence de Thomas Bernhard, revendiquée par Guibert mais non par Fritz Zorn qui, en tant qu’écrivant en allemand, devait connaître l'écrivain autrichien.

L’auteur prétend qu’ayant épousé pendant longtemps le mode de vie et de pensée de ses parents, il n’a jamais eu une opinion personnelle et donc une conversation autre que banale avec quelqu’un. Il nous apprend que non seulement il n’a jamais fait l’amour mais il n’a jamais aimé, comme si toujours il avait été incapable de ressentir des émotions. Il ne ménage nullement ses parents. A un moment, il déclare : « Survivrai-je à cette maladie ? Aujourd’hui je n’en sais rien. Au cas où j’en mourrais, on pourra dire de moi que j’ai été éduqué à mort. »
Quand il apprend sa maladie, il n’en est guère surpris : c’est pour lui la conséquence logique de sa névrose. Il lui apparaît alors qu’il a toujours été névrosé et que toute sa vie fut un échec (« toute ma vie avait été fausse »). Dès lors, il se lance un défi, celui de guérir de sa névrose pour « connaître ce que c’est que la vie pour quelqu’un qui n’est pas malade de l’âme » avant que le cancer n’ait raison de ses dernières forces. La maladie lui donne enfin du goût pour quelque chose, en l’occcurence celui de vaincre la maladie mais surtout la dépression qui l’a toujours empêché de vivre pleinement.
Il se trouve somme toute moins « malheureux » qu’avant car, pour lui, être malheureux constitue déjà un bonheur : la souffrance de la névrose est synonyme de déprime, de vide d’émotions et d’impossibilité d’aimer, on l’a vu, mais aussi de pleurer, et il est persuadé que la tumeur qu’il a développée à la gorge est la conséquence des larmes qu’il n’a pu verser, de « larmes rentrées ».
Il écrit: « Ce qui m’amène à la morale de cette histoire : plutôt le cancer que l’harmonie. Ou, en espagnol : Viva la muerte ! »
Le caractère doublement tragique de son cas lui apparaît bien dans les dernières lignes où ses chances de s’en sortir s’amenuisent et où il comprend qu’il va manquer - de peu - son pari. Mais contrairement à ce qu’on lui a appris, il ne se taira plus et ne craindra pas de « déranger » l'ordre établi, les bonnes manières suisses, en se rebellant contre la fatalité et la mort prochaine. Il mène une charge contre la famille et le milieu bourgeois desquels il est issu et contre Dieu, dont il remet en cause le caractère infini et immortel. Il choisit de mourir en colère ( son pseudo Zorn veut dire « colère »), tel Mars, choisi lui aussi à dessein, le dieu la guerre, se déclarant pour finir « en guerre totale ». Sans cette fois mentionner contre qui ou quoi.
Il meurt, digne à ses yeux, en colère donc, et comme guéri par le soulèvement de forces et d’émotions que lui procure cette lutte, en faisant de son expérience un cas typique, emblématique de l’homme confronté à la mort.
« La mort de chaque être humain est la mort de tous les hommes et la mort de chaque homme est la fin du monde. »
Autre consolation, il a appris l’acceptation de son manuscrit quelques heures avant de mourir ; ainsi il q uitté ce monde assuré que son existence n’aura pas été vaine, que son « essai » sera lu, et durant de nombreuses années encore.

Un livre remarquable, à plus d’un titre.
Aussi disponible en Folio.
Un effroyable constat 10 étoiles

L'histoire d'une vie, celle du narrateur, un jeune homme élevé dans la bourgeoisie suisse, et qui nous raconte son enfance et son adolescence au milieu d'une famille "passablement dégénérée" dont la vie n'est faite que de principes et d'idées préconçues. "Eduqué à mort", sa famille l'a totalement démoli. Une lucidité tardive alors qu'il se sait atteint d'une maladie mortelle, le pousse à écrire ce livre qui finalement, justifiera sa courte vie. Zorn, décédé à trente-deux ans de "son cancer", accomplit avec ce livre ce que réussit n'importe quelle fleur et que lui n'aura jamais réussi à faire : il apprend à "montrer sa croissance". Zorn qui se savait condamné à mourir dans l'oubli, aura le "bonheur" d'apprendre que son récit serait publié.
Un texte lourd et dense dans lequel le narrateur parle avec franchise et se décrit sans artifice. Un livre bouleversant.

Zazazou - Paris - - ans - 8 août 2013


Livre morbide et mortel. 4 étoiles

Mémoires d'un névrosé écrites avec du fiel cancéreux et l'amertume des tumeurs. Zorn analyse très bien son mal mais plonge un peu loin dans cette analyse. Teinté de psychanalyse, ce récit se veut le testament d'un névrosé qui malgré tout et sans espoir décédera du cancer. J'ai eu beaucoup de difficultés à apprécier ce livre qui n'est pas un mauvais livre, mais qui par certains côtés trop partisans plombe l'ensemble. Zorn a voulu régler ses comptes avec ses parents, a voulu écrire un testament affectif. Pour tous les malades du cancer, sa théorie peut paraitre farfelue sur un plan médical, mais peut s'avérer exacte sur un plan psychanalytique. Bref, mi figue mi raisin, pour un public initié et volontaire face à la maladie. Je conseillerais plus " D'autres vies que la mienne" de Carrère pour appréhender et comprendre non seulement les malades mais surtout la maladie.

Hexagone - - 53 ans - 7 décembre 2010


l'écriture des maux 5 étoiles

Effectivement ce livre que j'ai trouvé dans une brocante, ne reluit pas vraiment par la qualité de son écriture et en sens je rejoins l'avis de Béatrice (critique précédente).
Hervé Guibert avait écrit aussi ses malheurs, sa maladie, mais avec bien plus d'élégante pudeur.
Hélas pour les deux (pour ne parler que d'eux), raconter leur vie telle quelle, n'aura pas été salvatrice malgré-tout face à leur maladie. Ce ne sont pas des livres à lire pour se remonter le moral.

Azilha - - 44 ans - 31 janvier 2009


Ils sont réac et je me soigne 7 étoiles

Un compte rendu de la maladie mentale et de la guérison - une guérison trop tardive. Malgré la piètre qualité de l’écriture c’est troublant. Ou alors c’est troublant grâce à la faible qualité de l’écriture ... un peu comme Des fleurs pour Algernon. A mon sens ce n’est pas de la littérature, mais un témoignage. Mon reproche : l’incrimination trop appuyée de ses parents.

Béatrice - Paris - - ans - 31 janvier 2009


Cinglant 9 étoiles

Fritz Zorn est mort du cancer à 31 ans à Zurich sans que sa vie n'ait jamais commencé. Mais il avait tenu auparavant à dresser un réquisitoire contre cette société Zurichoise qui l'a condamné à la névrose et à la mort. Ce réquisitoire, c'est Mars.

A 28 ans, Fritz Zorn contracte le lymphome malin qui va l'emporter et donner une solution à son existence névrotique et morne. En l'éveillant à la mort, sa maladie le force à prendre conscience de sa névrose, cette névrose sécrétée par la bonne société zurichoise dont il est issu et qui tue ses enfants en leur refusant la vie. Cette névrose qu'il a toujours niée et dont l'aboutissement logique est le cancer. En l'éveillant à la mort, sa maladie lui fait aussi prendre conscience qu'il est vivant et lui donne le désir de combattre jusqu'à la mort, jusqu'à la fin de cette maladie psychique qui lui a interdit tout amour et toute sexualité et le poussait à couvrir des pages entières des mots soledad et tristeza.

"Je suis jeune et riche et cultivé; et je suis malheureux, névrosé et seul." La première phrase est cinglante. Presque tout est cinglant dans ce récit autobiographique du combat d'un cancéreux contre la névrose qui est la véritable cause de sa maladie. Récit d'autant plus touchant qu'il s'est achevé par la mort même de l'écrivain sans qu'on sache s'il avait finalement vaincu le cancer de son âme. Récit de l'urgence dont l'auteur n'a pas eu le temps d'éliminer les scories ou les regrets, ce qui rend d'autant plus crédible l'aveu de son conformisme, de l'intériorisation totale du désir d'harmonie et du refus du scandale qui l'a tué. Au cœur des passages les plus virulents, Zorn croit encore bon de nuancer ce que ces propos pourraient avoir de choquant édulcorant un peu la colère exprimée dans son pseudonyme -en allemand, Zorn signifie fureur- pour mieux révéler l'angoisse profonde tapie dans son patronyme même -Angst, la peur. Une peur ontologique que nous ressentons tous et qui fait de Mars, l'un des plus grands livres sur la mort et la maladie dans l'Europe d'aujourd'hui.

Banco - Cergy - 42 ans - 10 août 2004


OVNI 8 étoiles

Etrange, dur, ... on ne sait comment qualifier ceci.
Au niveau de l'écriture, c'est tout sauf de l'amateurisme. Au niveau du fond, c'est ... difficile à dire. D'accord avec la remarque de KINBOTE, il n'y a pas de références explicites à THOMAS BERNHARD mais on ne peut s'empêcher de les rapprocher. Y aurait-il un syndrome germanique non encore décrit?
C'est sûr, ça ne baigne pas dans la joie et la bonne humeur, mais on ne regrette pas sa lecture.

Tistou - - 68 ans - 3 juin 2004


agonie 9 étoiles

Blessures mortelles, cris de douleur, impitoyable constat.
A lire absolument, mais il faut quelques jours pour s'en remettre.

Sido - Grenoble - 70 ans - 2 mai 2004