Contes espagnols
de Lorenzo Cecchi

critiqué par Kinbote, le 9 décembre 2016
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Littérature fine
Neuf contes exquis, drôles, intelligents !

Dans "L’andalouse", avec un petit a, un homme amateur de sauce andalouse se plaît à croire que la compagne d’un ami (il reçoit le couple chez lui) qui le soigne d’une blessure à l’arcade sourcilière causée par une prise de bec avec cet ami est espagnole parce qu’elle s’appelle Conchita…

La femme de la nouvelle suivante, une Espagnole de souche, elle, se dispute avec son mari lors du vernissage d’une expo de Bram Bogart à Bruxelles où elle est venue le rejoindre avant que le narrateur, en habile séducteur, ne parvienne à approcher la bouillante épouse humiliée qui ne pensera qu’à se venger…

"La Chevrolet" mêle un souvenir d’enfance et un différend entre deux voisins, un Italien sans voiture et un Espagnol ayant troqué sa vieille Skoda contre une rutilante Chevrolet.

"La der des ders", peut-être la nouvelle la plus originale de l’ensemble, par sa forme épistolaire, met en scène une ultime discussion vive et virtuelle entre deux hommes aux egos surdimensionnés qu’une relation amicale ancienne unit par-delà la distance qui les sépare.

"Le gastronome" est un régal de mots et de mets qui pose un questionnement sur l’inclination à la nourriture quand elle prend certaines proportions…

Les deux nouvelles suivantes, au-delà des anecdotes rapportées, dressent un parallèle entre le monde de l’entreprise d’hier (dans "VRP"), fonctionnant sur le mode du paternalisme, et d’aujourd’hui (dans "Drink d’adieu"), basé sur le combat économique sans merci et le manque de considération dont sont l’objet les employés. On retrouve là la veine autobiographique de Cecchi à l’œuvre depuis "Nature morte aux papillons", son premier roman paru au Castor Astral, qui sait si bien s’appuyer sur ses expériences personnelles pour en tirer des histoires fortes emplies d’humanité et d’autodérision.

Les deux dernières nouvelles, "Spanish Jazz Project" et "Gesualdo", rendent hommage à leur façon à deux musiciens, Carlo Gesualdo et Michel Mainil, un musicien de la fin de la Renaissance et un saxophoniste de jazz belge toujours bien vivant.

L’ultime nouvelle du recueil, dans une merveille d’écriture concise et raffinée, raconte le premier mariage de Carlo Gesualdo da Venosa, noble napolitain de la fin du XVIème siècle par ailleurs musicien de madrigaux et de musique religieuse alors que Naples est dirigée par un vice-roi nomme par le roi d’Espagne. Le prince se montrera d’une cruauté sans égale quand il devra laver son honneur sali par l’adultère de son épouse commis avec un duc espagnol. Dans la quatrième de couve, il est justement conseillé d'écouter, pour l'apprécier autrement, la musique de Gesualdo pendant et après lecture de la nouvelle.

Les allusions à la culture ibérique sont toujours subtiles, c’est la cerise sur le gâteau de ce repas littéraire en neuf plats, goûteux et délicats à souhait, pour palais fins, exclusivement.

Ce neuf bouquet de nouvelles qui a, en partie, trouvé place sur la blog "Les Belles Phrases", est remarquablement illustré par Jean-Marie Molle, fondateur du groupe Maka, dans des tableaux judicieusement composés des éléments cruciaux de chaque récit.
Voyages ibériques 8 étoiles

Neuf histoires drôles ou moins drôles ayant un point commun l'Espagne.

L'andalouse n'est point celle que l'on croit. Mais qui est donc Conchita ? Question pour un amateur de sauce.
Le vernissage : une dispute conjugale lors d'un vernissage. La belle espagnole succombera-t-elle au charme du narrateur ? Vengeance es-tu là ?
La chevrolet : souvenirs d'enfance
J'ai beaucoup aimé le gastronome, un narrateur qui se came littéralement à la bonne chaire.
Dans VRP et Drink d'adieu c'est l'univers professionnel et ses relations humaines que l'on retrouve. Rapport entre paternalisme et manque de contact humain.
La der des der et les relations à distance, lorsque la mort vous sépare ...
Spanish Jazz Project : musique et jazz à l'honneur, la vie avant tout, le professionnel attendra....lorsque l'on oublie son portable : rien ne va plus
Et un petit bijou pour clôre ce recueil : la magnifique histoire de la princesse Gesualdo
La culture ibérique est le lien de ces contes ou nouvelles. C'est fluide, coquin parfois. C'est un regard sur l'Homme, ses comportements, ses sentiments. Lorenzo Cecchi est un raconteur, parfois proche de l'oralité, j'avais l'impression de l'entendre me raconter ces histoires, sa vision de notre société.

J'ai passé un bon moment.

Entre chaque nouvelle, de jolies illustrations de Jean-Marie Molle.

Ma note : ♥♥♥♥

Nathavh - - 60 ans - 21 février 2017


Comment croire que l'Ibère est prude ! 8 étoiles

Lorenzo Cecchi nous offre neuf contes, apparemment le compte est bon même si l’éditeur tend un petit piège au lecteur inattentif, mais l’important reste que ces contes soient bons et ils le sont. A priori, sans connaître l’auteur, il semblerait que le narrateur soit très proche de lui et qu’il décrive dans ses contes des moments d’émotion particuliers qu’il aurait vécus avec des Hispaniques, notamment des Espagnols et surtout des Espagnoles, côtoyés à Bruxelles ou en Espagne. Il faut souligner pourtant une exception à cette généralité, la neuvième et dernière nouvelle n’a rien à voir avec les autres même si elle concerne bien une belle Ibérique, elle ne concerne pas le narrateur, elle raconte l’horrible vengeance, au XVII° siècle, d’un triste noble italien incapable de satisfaire sa femme et fou de rage quand il apprend qu’elle le trompe. J’ai apprécié toutes les nouvelles du recueil, Cecchi à l’art de la narration, il sait raconter et son regard sur les gens, leur comportement, leurs sentiments, leurs émotions, leurs motivations est très perçant. Il voit juste, à travers les quelques faits divers qu’il raconte c’est un peu la diaspora ibérique qu’il met en scène avec ses petites tracasseries, ses aventures et mésaventures. Ces contes sont peut-être plus des nouvelles que des contes sauf peut-être ce fameux neuvième et dernier conte qui évoque un fait qui pourrait être historique, l’est peut-être, ou n’est finalement qu’un conte, peu importe l’histoire est aussi abominable que le texte est bien troussé. J’ai dégusté ces vieux mots oubliés qui sonnent si joliment aux oreilles des amateurs d’histoire dont je suis.

L’auteur a peut-être connu cette Conchita qu’il prenait pour une Espagnole qu’elle n’était pas ou cette Frida qui, elle, était bien espagnole alors qu’il la croyait suédoise. Je suis presque sûr qu’il a effectivement vendu sa première marchandise à un émigré hispanique l’ayant pris en pitié sa grande maladresse commerciale. Par contre, je doute qu’il ait été l’heureux bénéficiaire de la fureur sexuelle de la belle mexicaine qui s’est vengée de la tromperie de son mari avec le premier venu. Ainsi le lecteur, pourra laisser courir son imagination pour essayer de comprendre ce qui vient directement de l’imagination de l’auteur ou ce qu’il a puisé dans carrière professionnelle et dans sa vie d’immigré du sud de l’Europe. La querelle entre le narrateur Italien et son voisin espagnol, plus matcho l’un que l’autre, sent le vécu plus que l’histoire du gars qui écrit à son meilleur ami juste avant de se suicider qu’il part heureux de savoir qu’il n’a jamais couché avec aucune des femmes qu’il a eues.

Même si on respire une certaine pointe de mélancolie dans ces textes, j’y ai personnellement surtout trouvé beaucoup de vie, d’envie de vivre, d’espièglerie et même de dérision dans les moments les moins favorables de l’existence. Un recueil à mettre sur son chevet pour lire un ou deux textes les soirs de blues. Je ne voudrais surtout pas oublier les illustrations chatoyantes de Jean–Marie Molle, son rouge notamment qui, à lui seul, dégage une véritable fureur de vivre.

Débézed - Besançon - 77 ans - 23 janvier 2017