Sur les ossements des morts
de Olga Tokarczuk

critiqué par Sentinelle, le 6 décembre 2016
(Bruxelles - 54 ans)


La note:  étoiles
Le problème, c'est que chacun a sa version des choses, et c'est pourquoi les gens ont tant de mal à s'entendre
Attention, ce roman peut en cacher un autre. Car si son atmosphère étrange dans un lieu isolé où s’accumulent des meurtres semble emprunter les sentiers d’une enquête policière sous couvert de phénomènes mystérieux et quelque peu fantastiques, ce n’est que pour prendre la tangente pour mieux déboucher sur autre chose. Pas question de dévoiler les dessous de l’intrigue, mais sachez qu’il ne faut pas vous attendre à un thriller trépidant, tant vous risqueriez non seulement d’être déçu mais également de passer à côté de ce récit, qui tient plus du roman psychologique, voire sociologique, tout en demeurant assez engagé écologiquement parlant. Sans en avoir l’air, ce roman interroge essentiellement les rapports dominants – dominés dans lesquels la violence joue le premier rôle. Que ce soit du côté des dominants que des dominés. Je me rends compte que ce roman traite finalement d’un sujet très actuel, qui n’est rien d’autre que la difficulté de vivre ensemble lorsque les valeurs ne sont plus partagées, engendrant des frustrations de part et d’autre et menant au recours à la violence pour imposer son point de vue.

En conclusion, ce roman est assez original dans son traitement et marque avant tout son lecteur par son atmosphère sombre, insolite et poétique à la fois, tout en étant agrémenté ici et là de touches d’humour assez caustiques. Une intéressante découverte pour une romancière que je ne connaissais pas encore avant ce jour et vers laquelle je reviendrai très certainement, même si ce roman n’est visiblement pas représentatif de ce qu’elle écrit habituellement.
Un roman mystérieux 8 étoiles

Janina Doucheyko est la narratrice de ce roman mystérieux. Ingénieure à la retraite, elle donne désormais des cours d'anglais et surveille les maisons d'un petit hameau des Sudètes. Passionnée par l'astrologie et émue par le sort des animaux, elle vit seule et se sent parfois seule dans les combats qu'elle mène. Elle éprouve une antipathie profonde pour les chasseurs et beaucoup d'empathie envers les animaux. En fait tous les personnages qui gravitent autour d'elle sont touchés par l'étrangeté : il y a le voisin Matoga, homme très silencieux, puis ce jeune homme passionné par William Blake qui a entrepris des traduire des poèmes de cet auteur, puis ce passionné par les insectes ... Dans cet univers sombre et isolé, un crime est commis. Des traces animales à proximité ... Notre héroïne en vient à émettre l'idée que ce sont les animaux qui se révoltent ...

Ce roman a quelque chose d'envoûtant, il exerce un charme sur le lecteur. On se laisse porter par la narration de cette femme dont les chapitres s'ouvrent sur des vers de Blake et confèrent au tout un caractère bien mystérieux. Ce personnage est hors-norme, d'une sensibilité incroyable et considère les animaux comme des êtres vivants au même titre que les hommes. Il est agréable tout en étant déstabilisant de la suivre dans ses réflexions astrologiques élaborées et réfléchies comme si elle parlait d'une science exacte, donc fiable. Les textes de Blake contribuent à cultiver une atmosphère énigmatique. Notre narratrice n'est pas désagréable en plus. C'est un personnage qui a une vie intérieure très riche et une perception du réel plus sensible. Elle aimerait que les hommes fassent confiance aux astres comme l'animal fait confiance aux hommes. Son discours tend à montrer que le destin existe et que tout semble écrit dans les combinaisons des planètes, des astres et des signes.

Bien que le roman prenne parfois des allures de roman policier, "Sur les ossements des morts" est plus que cela. Il sonde notre rapport à l'humanité, à la nature et aux animaux. Il concerne notre façon de percevoir l'univers. Chacun possède son prisme et sa lecture du monde. C'est aussi ce qui en fait notre richesse. Et puis il y a aussi des moments où l'on rit. Il y a des pointes d'humour affûtées, des marques d'ironie bien vues qui rappellent l'humour pince-sans-rire. C'est bien le regard de la narratrice qui crée certains décalages et amuse le lecteur. A certains égards, certains personnages et l"humour peuvent rappeler l'univers d'Arto Paasilinna. Ce roman est agréable à lire, mystérieux et nous permet de voir au-delà du réel, encore faut-il accepter d'adopter le regard de ce personnage féminin pour transfigurer le réel. L'idée qu'il n'y a pas qu'une seule façon d'appréhender est vie est stimulante, permet de remettre en question notre grille de lecture du monde.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 17 mai 2020