La Vie et l'oeuvre du compositeur Foltyn
de Karel Čapek

critiqué par Débézed, le 3 décembre 2016
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
L'art, le bien et le mal
Ce qui frappe d’entrée dans ce roman, c’est la parenté avec Stefan Zweig, Capek est né en 1890 en Bohème, Zweig en 1881 à Vienne, le premier est décédé en 1938 et le second s’est donné la mort en 1942, ils appartiennent donc à la même époque, à la même culture celle de la Mitteleuropa de la première moitié du XX° siècle. Pour moi, Capek n’a certes pas le talent de Zweig que j’ai placé dans la plus haute sphère de mon panthéon littéraire mais il m’est tout de même apparu comme un grand auteur pas très éloigné de l’illustre viennois tant par le fond que par la forme de ce texte.

Dans ce roman polyphonique, Capek raconte la vie d’un pauvre gamin praguois peu doué pour les études qui, pour exister et faire illusion, se prétend un grand artiste, pianiste de grand talent et compositeur de génie qui montrera un jour ce dont il est capable. Capek convoque donc des grands témoins, un ami de jeunesse, sa logeuse, sa femme, … qui chacun, tour à tour, apporte un témoignage sur ce qu’il sait de la vie de ce personnage déroutant : flamboyant pour certains, beaucoup moins brillant pour d’autres. Et, pour compléter ce portrait et cette histoire, Capek donne la parole à ceux qui ont partagé l’aventure musicale du héros pour nuancer le portrait dressé par ses proches qui ignorent presque que tout de la vie du musicien dans le monde de son art. Ainsi, témoignage après témoignage, apparait un être frustré, peu fier de ses origines, qui cherche à se venger de son sort en devenant, quels que soient les moyens employés, un auteur connu, reconnu et adulé du monde musical.

Ce héros picaresque évoque, dans ma mémoire, un Henry Esmond ou un Julien Sorel, deux personnages romanesques du siècle précédent qui cherchent à transcender leurs origines pour devenir des personnages renommés, adulés, triomphants mais qui, hélas, échouent lamentablement dans leurs ambitions. Ainsi, en lisant ce roman, j’ai eu l’impression de baigner dans le romantisme qui imbibait la littérature européenne au XIX° siècle et plus spécialement celui de la Mitteleuropa.

Capek comme Zweig n’avait rien à attendre de bon du régime hitlérien, lui n’a pas eu à le fuir, la mort l’a rattrapé avant les nazis, il n’a même pas pu achever son texte qui est paru, inachevé, à titre posthume. Ce roman n’évoque jamais le contexte politique, il est totalement imprégné par la définition de l’art, de la façon de l’aborder, de le respecter, de le vénérer même et de le laisser s’exprimer sans jamais tricher, on ne peut pas produire ce que l’on ne porte pas en soi. La volonté de Capek semble plutôt s’orienter vers une définition de ce qu’est l’art, l’œuvre d’art, qu’on ne peut pas galvauder pour un quelconque prétexte. On pourrait peut-être penser qu’il vise ceux qui trop rapidement ont encensé le pouvoir conquérant à travers leurs œuvres mais le texte ne permet pas d’aller jusqu’à cette interprétation. On pourrait simplement dire qu’il stigmatise ceux qui veulent à n’importe quel prix exister aux yeux des autres pour un talent qu’ils n’ont pas privilégiant les apparences aux qualités réelles.

On pourrait, en lisant cet extrait : « il savait haïr comme un authentique homme de lettres », supposer que l’auteur en écrivant son texte pensait tout autant aux compositeurs qu’aux écrivains qui se prennent bien trop souvent pour des génies de la plume qu’il ne sont évidemment pas. Pour Capek l’art est infiniment respectable, il est quasi d’origine divine, il demande le plus profond respect et une totale implication. « La plupart des artistes, comme la plupart des humains, se contentent de multiplier la matière à l’infini, au lieu de donner forme à la matière… » Sentant sa fin prochaine, l’auteur donne une véritable leçon d’art à tous ceux qui veulent composer ou écrire, c’est une forme de testament littéraire qu’il leur livre. Ses dernières lignes, ou presque, sont éloquentes : « … il fallait bien que je parle de Dieu et du diable, car n’allez surtout pas croire que l’art se situe en dehors du bien et du mal. » Ce que le compositeur Foltyn a lui peut-être cru un peu trop naïvement ?