Un hiver avec le diable
de Michel Quint

critiqué par Ddh, le 31 octobre 2016
(Mouscron - 83 ans)


La note:  étoiles
Le diable à la frontière
Il y a du diabolique dans ce roman : pas mal de personnages ne sont pas loin de tout reproche !
Le narrateur, Robert Duvinage, dit Robert le Diable, ne manque pas d'intérêt : petit escroc, mais grand cœur quand même. Tout comme les antagonistes qui ont un côté pile différent du côté face ! De lourds incidents émaillent le roman : incendies, des morts. Où sont les coupables ? Pas loin,  mais qui ? Comme tout bon polar, la vérité éclate à la fin ! Quand tout cela se passe-t-il ? Pas l'hiver 54 avec l'abbé Pierre, mais en hiver 53 avec le procès d'Oradour, la fraude le long de la frontière, le problème alsacien et la guerre d'Indochine qui empoisonnent la vie politique de l'époque
L'intérêt est tenu avec de nouveaux éléments qui se chevauchent tout au long du roman. La vie, il y a plus de soixante ans, dans notre région secoue notre mémoire.
L'après-guerre 6 étoiles

Étymologiquement parlant, le diable signifie « celui qui divise » ou « qui désunit » ou encore « qui détruit ». Je ne sais pas si c'est vraiment le diable qui avait soufflé aux oreilles des habitants d'Erquignies, petit village du nord, et sur toute la France, la lâcheté, la division, la haine, la cupidité, la convoitise, la concupiscence (amusant, tous ces mots commençant par "con" !), en tout cas, ce qui est sûr, c'est que les habitants d'Erquignies, tout comme les Français, étaient, 8 ans après la fin de la guerre, divisés et désunis sur tout un tas de sujets liés à cette guerre (le procès d'Orador ouvrait ses portes) et d'autres (nous sommes en pleine guerre d'Indochine). De là à avoir des velléités de destruction, il n'y a qu'un pas. C'est peut-être pourquoi une ferme et ses habitants (dont deux enfants) a brûlé, a été détruite. Et l'institutrice, qui vient d'accoucher, dort avec un couteau sur son giron. Et tout cela intrigue Robert Duvinage, "ce diable de Robert" comme il se surnomme, un petit escroc sympathique qui entretient un certain dégoût de lui-même, qui se retrouve à Erquignie après y avoir raccompagné la belle institutrice, un Garbo brune avec des yeux comme des lacs, mère célibataire tout juste accouchée et qu'il a tenté d'escroquer.

Ce dernier opus de Michel Quint est ma deuxième incursion dans les livres de cet auteur, après Effroyables jardins que j'avais lu d'une traite et vraiment beaucoup apprécié. Mon avis sur cet Hiver avec le diable est plus mitigé.
J'ai trouvé ce livre complexe, et les défauts que je lui reproche sont les qualités que je lui trouve (oui, moi aussi, je suis une fille compliquée). Quint a fait une reconstitution très précise et très documentée de l'époque (d'ailleurs, on s'y croirait), aussi bien en terme d'habits, de meubles, de musiques, et aussi des nouvelles du monde. Du coup, l'histoire m'est apparue noyée dans les évènements qui secouent le monde et la France en 53, du match de foot à la guerre d'Indochine ou à la dernière sortie musicale, évènements qui nous rapportés très régulièrement tout au long de l'ouvrage, et sont en lien avec certains des personnages du village (il y a "le jeune" qui revient d'un camp de concentration, et celui qui revient d'Indochine, rêve de napalm et a des doigts en moins). Mais si ce sont bien les nouvelles des évènements qui nous sont rapportés, il y a peu d'explication ou de mise en perspective pour avoir une idée bien précise de leurs enjeux respectifs (mieux vaut bien se rappeler de ses leçons d'histoire, quoi...). Une très grosse partie de l'intrigue se déroule à Erquignies, village du nord imaginé pour l'occasion, presque à la manière d'un huis-clos. Les personnages sont assez nombreux, j'ai eu du mal à les repérer, surtout en début de lecture, car ils sont désignés indifféremment par leur nom, leur prénom, leur surnom, leur profession, etc... Autant j'avais apprécié les envolées textuelles de l'auteur dans Effroyables jardins, autant cette fois-ci elles m'ont moins réjouie, puisque se référant soit à des personnages que je n'avais pas identifié, soit à des évènements peu connus (je n'ai jamais été une lumière en histoire). Pour en rester aux personnages, je n'ai pas réussi à comprendre les deux principaux (Robert et Hortense, l'institutrice). Il n'y a qu'à la fin que le lecteur peut faire le lien entre des comportements vraiment très bizarres a priori et le personnage qui les a. Enfin, dernière chose, tous les personnages d'Erquignies sont pleins de secrets indicibles et sont beaucoup plus qu'ils ne paraissent être. C'est peut-être l'époque qui veut ça. Peut-être les années de guerre ont-elles contraint les gens à paraitre ce qu'ils ne sont pas, je ne sais pas. Mais, du coup, tout un chacun étant un autre et trop étant trop, le procédé m'a paru factice.
Voilà, en ouvrant Une nuit en hiver, je m'attendais à un livre qui me procurerait toute une palette d'émotions et explorerait les âmes humaines, et j'ai finalement lu une sorte de huis-clos d'un petit village du nord, symboliques d'un temps et d'une société que je n'ai pas connu. Cela n'enlève rien à la jolie écriture de Michel Quint, à la revisite d'une période de l'histoire, aux questions intelligentes que ce livre soulève, ni à la profondeur apportée à certains personnages plus ou moins secondaires (Odette m'a vraiment touchée).

Ellane92 - Boulogne-Billancourt - 49 ans - 18 novembre 2016