Avril brisé
de Ismail Kadare

critiqué par Jules, le 1 avril 2004
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Une terrible coutume !
Ce livre est consacré à la terrible coutume qui règne en maître sur l’Albanie depuis des siècles : le « Kanun » Elle a déjà coûté des dizaines de milliers de vies au pays au moment où commence cette histoire.

En vertu du « Kanun » toute famille qui a eu un de ses membres tué est obligé de tuer un membre de la famille responsable de cette mort. A défaut, la honte règne sur elle pour l’éternité. Ce sont, en principe, les fils aînés qui doivent exécuter la sentence. Celle-ci rendue, ce sera au tour de celui-ci d’être abattu et ainsi de suite.

Le crime commis, le vengeur a droit à une trêve de trente jours pendant laquelle il est sacré. Mais honte sur lui et sur sa famille s’il ne se présente pas au village au trente et unième jour pour permettre à l’autre famille de venger son honneur !

Et ainsi de suite pendant des générations ! On ne connaît même plus la raison du premier assassinat, mais cela ne change rien ! Un livre national reprend l’ensemble du « Kanun » et sait dire quelle famille doit prendre le sang d’une autre.

Gjorg Berisha vient de venger son frère aîné et devra donc être tué à son tour. Mais avant de subir la sentence, il décide de quitter la région et de découvrir le petit monde qui l’entoure alors qu’il n’a jamais quitté sa montagne. Parallèlement, l’écrivain Bessian Vorpsi, très intéressé par le Kanun, fait son voyage de noce dans la région.

Gjorg va découvrir la beauté du monde, des femmes et de la vie au point d’hésiter à rentrer dans son village. Trente jours, c’est très court !… Et d’ailleurs, rentrera-t-il ?…

Kadaré nous parle également de la sacro-sainte coutume qui profite à l’hôte. En Albanie, au moment où vous frappez à une porte, vous devenez un personnage sacré !
« L’hôte est vraiment un demi-dieu… Comme toutes les divinités, il recèle une énigme et il vient directement du royaume du destin ou de la fatalité, appelle ça comme tu voudras. De quelques coups frappés à une porte peut dépendre la survie ou l’extinction de générations entières. »

Et Kadaré d’ajouter : « L’hôte, la bessa et la vengeance sont comme les rouages de la tragédie antique, et s’engager dans leur mécanisme c’est envisager la possibilité de la tragédie. »

Kadaré nous transporte dans un autre monde qui vit avec d’autres coutumes. Il nous raconte cette histoire d’une écriture précise et dans laquelle les mots ont leur poids.

Ce livre date de 1981 et relate des faits antérieurs à l’époque communiste. En effet, celle-ci refusant de voir sa jeunesse décimée par cette coutume, l’interdit totalement. Mais dans son roman écrit en 2000, « Froides fleurs d’avril », Kadaré nous raconte une autre histoire dans laquelle il semblerait que le livre du « Kanun » ait été retrouvé et que, le communisme ayant été renversé, certaines familles remettent la coutume au goût du jour…
le 17 avril à midi. 9 étoiles

Ismaïl Kadaré nous fait entrer dans le monde du Kanun, ce recueil de lois implacables qui ordonne la vengeance et exige de verser le sang pour tout sang versé, sauf à perdre tout honneur...
Le décor c'est l'Albanie, ce pays secret, hors du temps, hors des systèmes. On se croirait dans la cité interdite.
L'action a beau se dérouler au début du XXème siècle, il est difficile de se l'imaginer. On pourrait tout aussi bien implanter l'histoire quelques siècles plus tôt.

Gjorg a été obligé de venger la mort de son frère. Le sang appelle le sang donc son devoir est de tuer un membre de la famille "adverse". Question d'honneur. S'il se soustrait à cette règle et n'accomplit pas sa mission, le reste de sa vie ne sera qu'infamie et bannissement. Donc il tue et le voilà devenu à son tour la cible de l'autre clan. La vengeance est une roue qui tourne à l'infini.

Un livre absolu, remarquable, terrifiant et.... magnifique.

Monocle - tournai - 64 ans - 12 juin 2016


Le Kanun, ce monstre si proche 8 étoiles

Tout le long du récit je me suis interrogé : le Kanun est-il une création géniale de l'auteur ou une réalité terrifiante? Ce code coutumier, cruel, absurde et implacable, impose un fardeau inhumain sur les habitants des hauts plateaux albanais.

Cette pesanteur est magnifiquement restituée. L'atmosphère est lourde, grise, froide, inanimée. La mécanique du Kanun est passionnante.

La tradition nie l'individu, la résignation semble le seul chemin. Un livre poignant. Accablant.

Elko - Niort - 47 ans - 22 octobre 2014


Une beauté qui tue 9 étoiles

Un excellent roman au décor passionnant.
Comment ne pas être fasciné et admiratif devant cette société prônant les vertus de l'honneur et du devoir ?
On ne se doutait pas que verser le sang pourrait être un acte noble...
Le Kanun est au-delà du bien et du mal, au-delà de la haine et de l'amour, le Kanun est immense et grandiose, mais pour lui tant de vies, dont celle de Gjorg, seront brisées.

Martin1 - Chavagnes-en-Paillers (Vendée) - - ans - 8 mai 2013


le poids d'une vie 9 étoiles

Je me suis inscrite suite au message désespéré de Jules qui regrette, à juste titre, de ne voir aucune autre critique que les siennes pour cet excellent auteur.
J'ai lu, suite à sa critique, Avril brisé, et j'ai adoré :
Lorsqu'une coutume, ou une religion sacrifie une vie et même une seule sous couvert de tradition peut-on encore l'encenser ?

Sophi - Paris - 55 ans - 2 février 2005