" Je ne sais plus si je raconte
ma vie ou celle d’un autre
à qui je parle souvent "
C’est avec ces mots que s’ouvre le nouveau recueil de poèmes en vers libres de Thierry Radière qui donne le ton sous l’aspect de voix multiples se répondant d’un moi à l’autre du poète. L’écriture, le partage d’histoires et d’émotions servent de lien vital à la création d’un mode de communication plus sensible. C’est à un exercice de présentification que nous invite le poète pour s’ouvrir à notre propre futur comme à l’actualité d’autrui. Pour laisser du silence à l’avenir.
Thierry Radière s’appuie sur son quotidien et ceux qui le partagent pour, avec les outils de l’imaginaire et de la mélancolie, questionner le monde et formuler ses réponses par l’opération de la poésie.
Très vite, au poème suivant, on y lit en guise d’explication de titre :
" il faudra bien du temps
de la solitude en barre
et des sourires forcés
pour se faire accepter. "
L’expression, la connaissance de soi et du monde mettent du temps. Est inconséquent à moins d’être génial le jeune poète qui croit accéder à cette compréhension rapidement, sans l’épreuve de la langue et de l’esseulement.
" grandir
c’est apprendre
à choisir sa gare
ou pas
si les terrains
sont vagues
et les destinations
à inventer "
Les emballements d’images, ces visions (qui) pointent des seins, tombent dans la verticalité du poème en produisant des effets délibérément comiques ou en délivrant de rares émotions.
" je n’aspire qu’à un peu
d’enchaînement au fil du
temps l’aiguille tendue
vers la glissade "
Entre immobilité et nuages, dans le flou des jours et des pensées, et les temps capricieux, délivrés des saisons, à travers sa route de mots et d’échos, Thierry Radière cherche et trouve le raccourci du silence.
Dans un des beaux poèmes du recueil, le poète avance en haïkus. Par petites touches, il dessine une avancée, aussi indécise que décisive. Il transforme les balafres de l’existence en notations brèves qui sont autant de tattoos sur la peau du temps.
Un court mais intense recueil qui, par le ravissement de ses expressions, en dit long sur l’existence et sur ce qui la précède ou l’accompagne : l’essence des jours, le sel de nos vies…
Depuis toujours, le poète a composé sa vie en vue de cette tâche noble et exigeante : écrire. Et il nous fait don des images qui composent et éclairent son subtil univers.
" c’est ce que je voulais
qu’il me reste
écrire écrire que ça
n’en finisse pas
j’ai tout préparé
et je récupère le temps
perdu à croire qu’il
y aura des trouvailles
dans l’imaginaire "
Paru dans la stimulante collection "Polder" de chez Décharge/Gros textes.
Avec une belle préface de Jean-Christophe Belleveaux et une illustration de couverture de Valérie Mailland.
Kinbote - Jumet - 66 ans - 14 décembre 2016 |