Il faudra bien du temps
de Thierry Radière

critiqué par Débézed, le 17 octobre 2016
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Attraper les mots
En exergue à ce recueil Thierry a mis cette citation de Lao Tseu : « Savoir se contenter de ce que l’on a : c’est être riche. » et étrangement, à ma grande surprise, cette pensée profonde, je l’ai lue très récemment dans un livre que m’a conseillé Thierry lui-même, une citation que le héros de ce roman, « Ma vie palpitante », de Kim An-rae, fait sienne pour supporter la lourde maladie qui l’accable à jamais. Fruit de ce fameux hasard, si souvent invoqué en littérature, ou hasard un peu téléguidé ? Peu importe, je retiendrai que cette maxime de Lao Tseu marque tout autant le roman de Kim An-rae que les poèmes de Thierry Radière.

Toute la poésie de ce recueil semble empreinte d’une douleur non dite, d’un fardeau à porter, d’une pointe d’amertume.

« la pluie dévale dans la rigole
nous venons de parler de bonheur
j’ai une arrête en travers de la gorge »

Le poète cher cherche alors à trouver l’oxygène qui lui manque dans les mots, dans la musique de son texte, pour transcender sa douleur et vivre le bonheur qu’il a sous la main sans penser au lendemain.

« si nous volons tous les deux
dans notre coin d’enfant
je rêve de te rencontrer
légère heureuse donnant
la main à ton père rien que
pour te voir avec lui »

Et comme Aerum, le héros du roman coréen, il cherche à attraper les mots pour les glisser dans ses vers très libres, très doux, très tendres, emplis d’une musique légère pour charmer sa tendre épouse et a sa fille adorée.

« c’est ce que je voulais
qu’il me reste
écrire écrire que ça
n’en finisse pas
j’ai tout préparé »

Poèmes de résilience, poèmes d’espoir, poèmes d’amour, poèmes pour oublier. L’écriture est un doux refuge pour le poète et peut-être une thérapie.
Les raccourcis du silence 8 étoiles

" Je ne sais plus si je raconte

ma vie ou celle d’un autre

à qui je parle souvent "


C’est avec ces mots que s’ouvre le nouveau recueil de poèmes en vers libres de Thierry Radière qui donne le ton sous l’aspect de voix multiples se répondant d’un moi à l’autre du poète. L’écriture, le partage d’histoires et d’émotions servent de lien vital à la création d’un mode de communication plus sensible. C’est à un exercice de présentification que nous invite le poète pour s’ouvrir à notre propre futur comme à l’actualité d’autrui. Pour laisser du silence à l’avenir.

Thierry Radière s’appuie sur son quotidien et ceux qui le partagent pour, avec les outils de l’imaginaire et de la mélancolie, questionner le monde et formuler ses réponses par l’opération de la poésie.

Très vite, au poème suivant, on y lit en guise d’explication de titre :

" il faudra bien du temps

de la solitude en barre

et des sourires forcés

pour se faire accepter. "


L’expression, la connaissance de soi et du monde mettent du temps. Est inconséquent à moins d’être génial le jeune poète qui croit accéder à cette compréhension rapidement, sans l’épreuve de la langue et de l’esseulement.

" grandir

c’est apprendre

à choisir sa gare

ou pas

si les terrains

sont vagues

et les destinations

à inventer "


Les emballements d’images, ces visions (qui) pointent des seins, tombent dans la verticalité du poème en produisant des effets délibérément comiques ou en délivrant de rares émotions.


" je n’aspire qu’à un peu

d’enchaînement au fil du

temps l’aiguille tendue

vers la glissade "


Entre immobilité et nuages, dans le flou des jours et des pensées, et les temps capricieux, délivrés des saisons, à travers sa route de mots et d’échos, Thierry Radière cherche et trouve le raccourci du silence.


Dans un des beaux poèmes du recueil, le poète avance en haïkus. Par petites touches, il dessine une avancée, aussi indécise que décisive. Il transforme les balafres de l’existence en notations brèves qui sont autant de tattoos sur la peau du temps.

Un court mais intense recueil qui, par le ravissement de ses expressions, en dit long sur l’existence et sur ce qui la précède ou l’accompagne : l’essence des jours, le sel de nos vies…

Depuis toujours, le poète a composé sa vie en vue de cette tâche noble et exigeante : écrire. Et il nous fait don des images qui composent et éclairent son subtil univers.

" c’est ce que je voulais

qu’il me reste

écrire écrire que ça

n’en finisse pas

j’ai tout préparé



et je récupère le temps

perdu à croire qu’il

y aura des trouvailles

dans l’imaginaire "



Paru dans la stimulante collection "Polder" de chez Décharge/Gros textes.

Avec une belle préface de Jean-Christophe Belleveaux et une illustration de couverture de Valérie Mailland.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 14 décembre 2016