Ce coeur changeant
de Agnès Desarthe

critiqué par Veneziano, le 16 octobre 2016
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
L'épopée glauque d'une femme libre
Un capitaine aristocrate de l'armée française épouse une riche héritière danoise, non sans questionnements respectifs et descriptions aussi peu flatteuses que drolatiques. De cette union, il nait une petite fille, Rose, née sous les meilleurs auspices. Néanmoins, elle les réfute, ou au moins s'en dispense, en partant s'installer à Paris. Elle y intègre le mouvement artistique des années folles. Elle y connaît tous les états, la gloire de temps à autre, la misère bien plus souvent. Elle côtoie hommes et femmes, y compris de près, elle adopte une petite fille. Les échanges épistolaires font état de l'incompréhension et de quiproquos avec sa famille.
Il en ressort un roman échevelé, presque improbable. Il s'en dégage tout autant une atmosphère romantique qu'un misérabilisme des plus glauques. Après hésitations, je rechigne puis renonce à vous donner plus de détails, par ailleurs facilement imaginables. Ce livre contient bien des moments de fulgurance, des instants de bravoure, de beaux temps d'espoir, voire de bonheur. Mais il m'est apparu dommageable de les faire baigner dans un tel bain de tristesse et de quotidienneté presque sordides, dont j'aurais préféré qu'il eussent davantage été esquissés que décrits avec autant de détails.
Pour en conclure, globalement, j'en ai tiré des choses intéressantes, mais à un prix bien rude. Cette lecture n'apaise pas.
Un petit air de roman-feuilleton 8 étoiles

Quand Rose débarque à Paris en 1909, elle a 20 ans. Enfant mal aimée, elle a rompu avec sa famille et n'a pas un sou en poche.
« Elle ne savait rien de l'argent, des hommes, de la politique et du sexe ». Ignorante et candide, mais pleine de courage, elle va découvrir la capitale et ses dangers.
Alternant périodes de misère et de répit, de désarroi et de bonheur, elle rencontrera sur son chemins mauvais anges et bons samaritains. et sa vie sera pleine de rebondissements, avant de retrouver paix et aisance en 1931.« Fallait-il qu'elle ne connaisse que les extrêmes, châtelaine ou gueuse, grande bourgeoise ou va-nu-pieds »
Le schéma classique du roman d'initiation !

Péripéties, nombreux retours sur l'enfance et le passé familial, réapparitions de personnages donnent à l'ouvrage un petit air de roman feuilleton, qui n'a rien de désagréable pour le lecteur qui aime être surpris.
Il y trouvera matière à découvrir le quotidien du Paris, de l'avant guerre aux années folles, celui du petit peuple comme celui des nantis, passant d'une fumerie d'opium à un phalanstère d'artistes, des véhicules hippomobiles, aux voitures Panhard Levassor.

Un roman qui évite le piège du pathos, à la fois concentré sur l'intime et ouvert sur un monde révolu .

Son titre CE COEUR CHANGEANT, emprunté, comme l'indique l'exergue, au poème MARIE de Guillaume Apollinaire, désigne une faiblesse de Rose, mais place aussi le roman sous le signe de la poésie.
C'est d'ailleurs un poète amoureux de Rose qui lui proposera de tenir la rubrique poésie d'un magazine et lui offrira ainsi une certaine stabilité.

La lecture du roman m'a remis en mémoire quelques vers d'un poème de Louis Aragon (mis en musique et interprété par Georges Brassens) et qui me semblent pouvoir servir de morale à cette histoire
Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux

Alma - - - ans - 17 novembre 2021