La loterie
de Miles Hyman

critiqué par Hervé28, le 10 octobre 2016
(Chartres - 55 ans)


La note:  étoiles
A vous de jouer...si le coeur vous en dit
J'avais découvert Miles Hyman avec "Le Dahlia noir" scénarisé par Matz et David Fincher (d'après le roman de James Ellroy). Véritablement tombé en admiration devant ses planches (même si certains trouvaient ses personnages "figés"), je me suis précipité sur son art-book intitulé "Drawings" édité en 2015 chez Glénat. On pouvait y découvrir de somptueux dessins, d'illustrations de couverture de romans ou d'articles de presse.Un régal !
Avec "la loterie", Miles Hyman adapte une nouvelle de sa grand-mère , Shirley Jackson, qui avait fait scandale à l'époque (1948).
Ce livre de 140 pages fait une part belle aux formidables dessins de Hyman (avec en moyenne 3 vignettes par planches). Ce qui permet au lecteur d'admirer le travail du dessinateur. Malgré la montée du suspense et le noirceur du récit au fil des pages, on ne peut que saluer la luminosité des planches.
Miles Hyman nous offre des gros plans de visages assez percutants, et des pleines pages qui permet au lecteur de prendre son temps, de découvrir cette loterie quasiment en temps réel:
Car outre, la population du village, le temps est pour moi un des principaux personnages de cet ouvrage.
Je ne vous dévoilerai pas l'enjeu de cette loterie, car cela nuirait au plaisir de cette lecture.
Pour ma part, dès avoir lu cet album, j'en ai repris la lecture pour voir quels étaient les signes avant coureurs de cette conclusion.
Un dessin formidable, des planches lumineuses sur un scénario étonnant, bref une très belle bande dessinée que l'on peut lire aisément plusieurs fois.
Le Village 7 étoiles

Je ne connais pas le texte d’origine de Shirley Jackson que Miles Hyman a adapté dans ce superbe album graphique, il est difficile donc pour moi de comparer les deux, mais on peut deviner les risques que devait comporter l’adaptation d’un tel récit. Pour le coup, Miles Hyman a fait des choix tranchés, qui donnent naissance à une œuvre puissante, interpellante. Le récit est très peu bavard (en particulier dans la première partie), mettant toute l’extraordinaire force des illustrations du dessinateur au centre du dispositif narratif.

Il faut dire que chaque vignette est quasiment un tableau, dont on finit par soupçonner, à la deuxième lecture en particulier, que chacune porte une symbolique, ou, comme le suggère Hervé dans sa critique, quelque sens caché annonçant le drame final. Les couleurs utilisées, principalement le rouge, l’orange, l’ocre, et le rendu légèrement granuleux (dû sans doute au médium, peut-être du pastel gras) sont sublimés par la lumière et par un dessin d’une grande netteté très agréable, typique de l’auteur.

Dans son adaptation du Dahlia noir j’avoue que je n’avais pas réussi par contre à me faire à l’expression figée des visages des personnages. On retrouve cette caractéristique dans La Loterie mais cette fois-ci à mon sens elle sert plutôt bien l’histoire. Les visages fermés des protagonistes, leurs poses hiératiques, leur confèrent une pesanteur tout à fait en accord avec l’ambiance générale. Ces graves portraits de travailleurs de la terre de l’entre deux-guerre m’ont évoqué irrésistiblement certaines affiches soviétiques exhaltant les ouvriers et les paysans, ou bien encore les expressions sévères du couple du tableau American Gothic du peintre Grant Wood.

Le bonus de l’album nous apprend que moult interprétations ont été faites sur le sens de la Loterie. Je ne résiste donc pas au plaisir de vous faire part des miennes. Au départ j’avais pensé à un lien avec la Bible, dans cette Amérique rurale souvent profondément ancrée dans le christianisme, du fait de la référence à la lapidation, dont on trouve un célèbre épisode dans le Nouveau Testament ( « que celui qui n’a jamais péché... »). Pourtant : nulle église dans ce petit village, nulle présence de pasteur... Pour ma part je ne peux donc pas m’empêcher plutôt d’y voir les réminiscences d’un rituel antique de certaines communautés (tel le Pharmakos grec), choisissant arbitrairement une victime expiatoire pour qu’un Dieu païen pardonne les fautes commises par ses membres, ou bien alors leur accorde de belles récoltes qui permettront à la communauté de croître et de s’enrichir.

Fanou03 - * - 49 ans - 15 février 2019