La guerre des civilisations n'aura pas lieu : Coexistence et violence au XXIe siècle
de Raphaël Liogier

critiqué par Colen8, le 6 octobre 2016
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Gouvernance mondiale ou ghettoïsation de l’Occident dans une nouvelle forme d’Apartheid ?
Le thème du choc des civilisations est apparu lors d’une intervention universitaire en 1957 peu après la crise de Suez marquant comme le signal d’un recul européen sur fond de guerre froide. Il traduit un courant différencialiste remontant au XIXe siècle. Repris plus tard il a été le titre et sujet du fameux essai de Samuel Huntington en 1993. C’est un point de vue de nature anthropologique qu’exprime ici Raphaël Liogier à l’opposé des discours habituels qu’il juge islamophobes et surtout contre-productifs dans la lutte anti-terroriste et anti-jihad. Il s’efforce de laisser décanter la somme des fantasmes véhiculés avant tout par les fondamentalistes en s’appuyant à la fois sur les enquêtes de l’Observatoire du religieux qu’il dirige depuis 10 ans et sur les publications relatives aux pratiques religieuses ou spirituelles un peu partout dans le monde.
On assiste selon lui à une refonte mondialisée des traditions religieuses dans des postures plus que dans les croyances. Les religions loin d’être monolithiques sont traversées de polarités correspondant à des strates socio-économiques détachées des dogmes ou des aires géographiques. Une tendance spiritualiste syncrétique s’observe dans les pays industriels avancés, une tendance charismatique agissant sur le plan émotionnel des croyants dans les pays en voie d’industrialisation. Quant au fondamentalisme il se développe surtout dans des pays sous développés ou des pays les plus riches en mal de reconnaissance après avoir subi l’humiliation de la colonisation. Des fondamentalismes existent ailleurs que dans l’islam, attachés à des formes de bouddhisme, chez les chrétiens néo-évangéliques ou pentecôtistes entre autres. Ressenti comme une menace par la majorité des gens le fondamentalisme prône le retour à une pureté originelle qui explique sa tendance à l’isolement aussi bien qu’à l’exclusion.
Derrière les apparences du chaos un extraterrestre percevrait la situation terrienne comme assez unifiée. L’anglais, la science, la technologie, la publicité, les mangas, hamburgers, pizzas, le coca, le jean, la musique, la mesure du temps sont les mêmes partout. Hormis sa composante terroriste dont il convient de mesurer la vraie radicalité pour mieux la traiter, il verrait les tenues islamiques portées sous couvert de salafisme comme une mode, le signe d’un débordement hyper-moderne de l’islam par de jeunes générations excentriques élevées dans les pays occidentaux, immergées de longue date dans la cybersphère informationnelle, et qui s’approprient ostensiblement de telles tenues par provocation afin de mieux se faire distinguer…
Parallèlement à cette vision en contradiction complète avec la quasi unanimité du discours politico-médiatique occidental Raphaël Liogier souligne la mutation profonde qui s’opère, le danger réel cette fois de la dissolution de l’Etat-nation dans les courants puissants de la mondialisation avec lesquels les gouvernants sont en partie complices, en partie impuissants faute d’avoir prise sur eux. Un tel danger qui s’accompagne d’une perte identitaire des populations peut conduire à des violences sans fin entre des acteurs sporadiques mal identifiés. Seule une gouvernance mondiale encore à inventer serait à même d’en détourner les menaces.