Les sanguines
de Elsa Pépin

critiqué par Libris québécis, le 26 septembre 2016
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Le Don d'organe
Les sanguines sont des crayons fabriqués à partir d’hématite rouge qu’affectionne l’héroïne, une femme peintre qui a troqué son talent pour reproduire des œuvres célèbres que lui commande son vieil amant, un homme retors qui ne craint pas le milieu des faussaires. Le roman d’Elsa Pépin ne traite pas de peinture quoiqu’elle soit présente tout au long de l’œuvre. Si cet art peut rendre immortels ceux qui s’y adonnent, autant il peut détruire ceux qui pactisent avec le diable.

C’est le cas de Sarah appelée à une belle carrière, mais qui se laisse entraîner par amour dans des dédales interdits. C’est Avril, sa sœur aînée qui la remettra sur le bon chemin. Pourtant, il ne sera jamais question d’art entre elles. Les deux sœurs Becker sont loin de fraterniser. Elles sont aux antipodes l’une de l’autre. La cadette est phagocytée par un homme captieux, et l’aînée est une mère de deux filles dont les espoirs de carrière grandiose se sont envolés. Vont-elles se rapprocher un jour ? C’est le suspense relié à la maladie.

En l’occurrence, il s’agit de la leucémie insidieuse d’Avril que seule une greffe de la moelle épinière peut guérir. Mais pour s’y faire, il faut un donneur compatible. Généralement, on le trouve dans la famille, En effet, Sarah répond au même type sanguin que sa sœur. Elle est donc la donneuse toute désignée. Mais la loi n’oblige pas à un tel don d’autant plus que ce n’est pas une sinécure que d’offrir son sang : nausées, douleurs dorsales, etc. Comme dit l’adage, « c’est un pensez-y bien ».

Le sang n’est pas une substance neutre comme l’eau qui circule dans n’importe quel conduit sans l’affecter. Ce sont des enjeux humains qui sont en cause. La psyché de l’une se transposera-t-elle chez l’autre. La transplantation appelle-t-elle une transformation. Jamais le préfixe trans n’a posé autant de questions à ceux qui sont concernés. C’est mal connaître les propriétés du sang. Elles ne déterminent pas la personnalité des gens. Recevoir en transplantation un cœur de femme ne rendra pas efféminé l’homme qui le reçoit. Et quand ces considérations se joignent à la piètre qualité des relations humaines, c’en est assez pour faire douter Sarah de la nécessité de faire un don d’organe à une sœur qui n’est pas sur la même longueur d’onde qu’elle.

Sarah s’est trompée en amour, mais, cette fois-ci, elle veut prendre une décision éclairée. Le médecin traitant qui écrit justement un essai sur le sujet, les rencontres fortuites dans les hôpitaux, tout contribue à poser sans crainte le geste salvateur. Geste qui relance parfois toute une vie sur le droit chemin quand on sait que notre corps contribue aussi à sa survie. L’auteure profite de l’occasion pour renseigner le lecteur en intégrant avec efficacité les études du passé qui ont amené à une meilleure connaissance du système sanguin.

Faut-il être malade pour aimer vraiment ? Il faudrait le croire. L’auteure l’a démontré avec le cas qu’elle a soumis aux lecteurs. C’est une belle histoire d’amour qu’elle raconte finalement avec une plume forte belle. On sent qu’elle ne maîtrise pas seulement l’écriture, mais aussi le sujet. Il y a de la sueur derrière cet opuscule très bien construit d’autant plus qu’Elsa Pépin dirige le focus sur le donneur et non le receveur. En termes de base-ball, le pitcher est plus important que le catcheur pour assurer la victoire à son équipe. On le voit bien avec ce roman.