Une bouche sans personne
de Gilles Marchand

critiqué par Lucia-lilas, le 16 septembre 2016
( - 57 ans)


La note:  étoiles
Une bouche sans personne de Gilles Marchand
Je ne peux pas dire, les premières pages ne m’ont pas déplu. J’ai aimé l’atmosphère assez tristounette de ce début de roman qui met en scène un narrateur avouant dès la première ligne : « J’ai un poème et une cicatrice. »
Cet homme, un comptable solitaire, se rend chaque soir dans un café pour discuter avec les rares clients qui sont devenus, au fil du temps, des amis : Lisa, la serveuse, Sam et Thomas. Se dessine alors le portrait d’un homme meurtri qui n’attend plus grand-chose de la vie et cache une mystérieuse cicatrice et certainement un passé bien lourd.
Un jour, empêtré dans son écharpe, il renverse du café sur ses vêtements. Thomas se lance : « Pourquoi n’enlèves-tu pas cette foutue écharpe ? »
L’autre accuse le coup. Parler de son passé n’est pas son fort, parler tout court d’ailleurs n’est pas dans ses habitudes. Mais, le lendemain, il revient au café avec la photo de son grand-père, Pierre-Jean, et commence à raconter. Une délivrance commence pour lui…
Est-ce parce que je connaissais le poème dont est tiré le titre du roman et du coup, très vite, j’ai deviné la fin ? Non, je crois surtout que, si j’ai trouvé assez amusant le glissement progressif dans un univers étrange et absurde, au début en tout cas, hélas, je pense que trop, c’est trop. Cela m’a semblé souvent forcé et, il faut bien le dire, artificiel, comme relevant du procédé. On perd de vue l’intrigue principale pour prendre un chemin de traverse qui nous mène à une digression, puis à une autre sans que tout cela soit vraiment justifié, fondamental ou porteur de sens, comme si ces longs passages se voulant très farfelus ne servaient finalement qu’à retarder la révélation finale, sans apporter grand-chose à l’histoire.
Non, vraiment, j’ai eu du mal à traverser ce livre malgré des pages amusantes sur l’univers de l’entreprise notamment.
Un avis donc mitigé pour cette œuvre qui aurait certainement gagné en force en s’allégeant de quelques pages et en limitant, je pense, cette tendance actuelle à placer dans un même lieu des gens ou des choses disparates ou « improbables » comme disent les quatrièmes de couverture pour faire « coup de folie », « original à tout prix ». Si l’auteur s’amuse à jongler avec les mots et les situations, le lecteur, lui, s’épuise, s’enlise et finit par se lasser. Enfin, quand je dis le lecteur, je parle pour moi car c’est un livre qui a trouvé son public et c’est bien là l’essentiel…
Une bouche sans personne 8 étoiles

Thomas est comptable, il a 47 ans, il passe ses journées dans les chiffres et depuis dix ans ses soirées dans le bar de Lise dont il est secrètement amoureux, c'est devenu un rituel. Il y rencontre ses amis Thomas et Sam. Un disque des Beatles, le plus souvent, un morceau qu'on écoute et nos amis ont pris l'habitude de combler ensemble leur solitude.

Thomas écrit un roman dont il parle peu. Ecorché de la vie suite à un accident, il parle de ses deux enfants perdus - enfants qu'il n'a jamais eus...

Sam, orphelin, a atterri dans ce bar depuis la mort de son père, étrangement depuis peu il reçoit régulièrement des lettres de ses parents disparus...

Notre narrateur quant à lui, porte toujours une écharpe autour du cou quelle que soit la saison cachant des cicatrices... Un soir, par maladresse, il renverse son café brûlant. Le liquide s'échappe dans son cou et sur l'étoffe qui l'entoure. Troublé, il rentre chez lui.

Ses amis lui disent qu'entre amis on peut tout se dire. C'est peut-être le moment de se libérer de son lourd secret. En effet, peu à peu une brèche s'ouvre et notre narrateur va peu à peu nous raconter son histoire , le tout au départ d'une photo jaunie, celle de papi Pierre-Jean.

Le récit semble léger d'apparence, loufoque , fantasque par moments. mais détrompez-vous il est beaucoup plus profond.

Il nous raconte entre autre comment on récolte les nouilles en carrière, ce qui se passe dans son immeuble suite au décès de la concierge pour la gestion des déchets. Ceux-ci s'accumulent dans la cage d'escalier comme son lourd fardeau qui, au plus il se libère de son secret, au plus profond des strates de souvenirs il creuse, obligeant à creuser une galerie pour se rendre chez lui comme au plus profond de son âme.

C'est étrange au plus il se livre, au plus le bar se remplit, de plus en plus de monde vient pour l'écouter. Bienvenue dans le monde de l'imaginaire, de l'absurde, un monde ressemblant étrangement à celui de Boris Vian, une filiation qui correspond à mon sens à merveille à l'auteur.

J'avoue m'être un peu perdue dans cet univers décalé durant la lecture, me demandant où Gilles Marchand voulait m'emmener mais il le savait lui, il m'a menée comme un funambule (oui je sais c'est facile - second titre de l'auteur) sur un fil tendu auquel je me suis accrochée jusqu'au bout du récit. Croyez-moi il savait exactement où il voulait nous mener. Et au final j'en suis enchantée.

Avec poésie, extravagance, l'imaginaire de Gilles Marchand nous parle dans ce premier roman très réussi du poids des secrets, de la solitude et de l'amitié.

Une belle découverte au final, le second "Un funambule sur le sable" a rejoint ma PAL car j'ai vraiment envie de connaître l'univers de cet auteur.

Ma note : 8/10


Les jolies phrases

Ce morceau, cette ambiance, je prends conscience que nous avons tous nos secrets, nous sommes effectivement ici chez nous.

Je me souviens qu'après ces siestes tu me proposais d'aller au café, parce que les amis c'est ce qu'il y a de plus important dans la vie, et que les amis c'est dans les cafés qu'on les trouve.

L'Histoire n'est pas juste.

L'écharpe m'a permis de masquer cette différence. Elle soulève d'autres questions mais il est plus facile de vivre avec des questions qu'avec une différence.

J'ai trouvé mon écharpe comme un voile qui transforme la réalité.

La présence de tous ces anonymes me permet de me détacher de ce que je leur raconte. A travers eux, mon histoire devient 'une histoire". C'est peut-être ce dont j'avais besoin pour avancer.

C'était l'école qui me renvoyait le plus le reflet de ma différence.

Ne pas s'encombrer de la réalité, transformer son présent pour oublier son passé.

Le discours d'adieux c'est la main du noyé qui se dresse une dernière fois à la surface de l'eau parce qu'il sait que dans quelques instants si l'on parle encore de lui, ce sera uniquement au passé.

Nous avançons et nous jetons au rebut tout ce que nous estimons inutile, tout ce qui nous embarrasse. Nous pensons faire place nette, mais au final, nous ne faisons que déplacer, éloigner.

C'est peut-être ce dont j'avais besoin pour avancer. Je ne suis qu'une bouche, une espèce de lien avec un autre temps qui se dépossède de ce qu'il a sur le coeur. Mon histoire leur appartient et se mêle à leurs propres souvenirs.

Nathavh - - 59 ans - 20 février 2019


Un roman surprenant. 5 étoiles

Le livre commençait bien.
Sur un ton mélancolique et triste, dans une atmosphère digne d'un film de Marcel Carné avec un décor, le bar, signé Alexandre Trauner, Gilles Marchand dressait une ambiance particulière dès les premières pages.
Les personnages sont assez finement décrits : les habitués du bar, Lisa, et d'autres sont assez drôles (la boulangère).
Pendant longtemps, on ne sait pas où veut nous mener l'auteur. On part subitement dans un délire avec les lettres que reçoit Thomas et le roman devient surréaliste. A l'accumulation des déchets dans l'immeuble du narrateur, aux personnes empaillées, et autres détours imaginaires, j'ai failli décrocher.
Et puis, avec le récit sur le grand-père, Gilles Marchand nous plonge là où il voulait amener le lecteur: l'Histoire dans ce qu'elle a de plus dramatique.
J'ai été très surpris par la tournure que prenait ce roman.

Trop de fantaisies dans ce roman m'ont chagriné et nuisent à une lecture linéaire.
Dommage!

Hervé28 - Chartres - 54 ans - 28 avril 2017