Fils du feu
de Guy Boley

critiqué par Hcdahlem, le 8 septembre 2016
( - 65 ans)


La note:  étoiles
Fils du feu, roman incandescent
Avant de résumer la trame de ce premier roman remarquable à bien des égards, disons quelques mots sur la langue, travaillée ici avec un soin extrême, comme de la poésie en prose. Guy Boley a une écriture très visuelle, enrichit son récit de comparaisons audacieuses, sait trouver les raccourcis les plus percutants, les références les plus érudites et entraîne son lecteur dans une épopée mythologique.
Voici donc l’histoire d’un fils de Vulcain, émerveillé par la puissance que dégage son père et par la maîtrise qu’il a sur le feu et sur la matière.
C’est du reste à la forge qu’il se construit et éprouve ses premières grandes émotions. Par exemple le jour où Jacky est arrivé à moto pour seconder son père. Ce «Jacky était un vrai mystère. Un taiseux taciturne au visage sans lumière. Un humain sans parole. Un grand sac de secrets. Ma première statue grecque. Mon premier grand amour.»
Mais voilà que les rêves se brisent quand sa mère lui annonce «sans perdre de temps et sans salir les mots (…) : Ton petit frère est mort». Un événement qui va traumatiser toute la famille : «Les horreurs du monde enfantent des printemps si nous voulons durer au-delà du chagrin.»
Sa mère n’acceptera pas cette absence et continuera à vivre avec son fils décédé à ses côtés. Son père ne comprendra pas cette attitude, essaiera la faire soigner par un psychiatre et finira par sombrer dans l’alcool. Car il comprendra trop tard qu’en levant la main sur son épouse, il a brisé son couple et sa relation avec Jacky qui ne lui pardonnera pas ce geste. La narrateur assiste alors à un combat mémorable entre les deux hommes : «Ils sont la lave toujours vivace de ces ventres de femme qui libèrent des volcans et où des cavaliers, dans des toundras de chair, égarent leurs chevaux.»
La forge est fermée, les locomotives à vapeur sont remplacées par des motrices électriques. Son père se transforme en artisan, vendeur de fer forgé et de volets roulants, le paysage prend des allures uniformes quand les pavillons poussent comme des champignons. Voici les années que l’on nommera Glorieuses : «le roi nommé crédit distribue à la volée de pleines poignées de billets permettant d’acheter des meubles en aggloméré, des tables en formica, de la vaisselle transparente en pyrex, des oreilles de Mickey et des Général de gaulle en forme de tire-bouchon. Et ça consomme plein pot, dehors comme dedans, du sous-sol jusqu’au grenier, sans oublier les réfrigérateurs qui dégueulent déjà leurs mets cellophanés sans saveur, sans odeur, sans effort à fournir pour les servir à table.»
C’est aussi l’époque où il ne saurait être bien vu de choisir les beaux-arts comme métier. La faculté des sciences fera beaucoup plus sérieux pour le jeune bachelier. Il y trouvera toutefois vite la confirmation qu’il n’aime pas les sciences et, plus surprenant, qu’il n’aime pas les femmes.
C’est dans le grenier aménagé pour son frère défunt qu’il avouera son orientation sexuelle à sa mère et que cette dernière lui expliquera qu’en revanche son frère (défunt) a rencontré une jeune fille «pour laquelle il éprouvait des sentiments extrêmement sérieux» et qu’elle aimerait beaucoup assister à leur mariage. Un autre jour sa femme sera enceinte…
Passant des études de sciences à celle des lettres, le narrateur s’ingénie à inventer pour sa mère le roman de cette vie… avant qu’elle n’accompagne son père et leur chien dans la tombe et trouve dans la peinture une thérapie.
Dans ses toiles, il ne sait de quel passé, de quelle victoire, de quelle défaite, quelle joie ou quelle douleur elles sont constituées. En revanche, je sais que son roman est le fruit de tous ces éléments. Un livre forgé avec puissance et élégance, avec rage et exaltation. C’est l’enfer la tête dans les étoiles.
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Feu de forge, feu dans la tête 9 étoiles

Son père joue avec le feu, mais au sens propre : c'est un maître forgeron. Fasciné par son père, le narrateur mène le lecteur dans une quête d'un absolu pas nécessairement exaltant ; la vie est ainsi faite...
Guy Boley mène une vie multiple au fil des années, il embrasse bon nombre de professions. Une vie bien remplie et le voilà auteur d'un premier roman qui connaît un beau succès : Fils du feu est primé à Chambéry, lauréat 2017 du Prix (du métro) Goncourt.
Jérôme vit dans un entourage plutôt particulier : son père, forgeron, frappe l'enclume avec le jeune Jacky. Sa mère vit mal le décès de Norbert, le petit frère de Jérôme. La voisine Marguerite-des-Oiseaux est un personnage typique autant qu'attachant. La grand-mère bigote complète l'univers de Jérôme mais aussi une grande sœur presqu'oubliée . Le lecteur suit la vie du narrateur, toute sa vie depuis l'enfance. L'auteur plonge ses lecteurs dans un domaine bien mal exploré parce qu'il les intrigue : la psychiatrie.
Une merveille d'écriture ! Des termes bien choisis, parfois ésotériques ; des images qui frappent l'imagination du lecteur. Un bijou rare, démodé pour certains, mais magique pour les amateurs de belles lettres.

Ddh - Mouscron - 83 ans - 19 décembre 2017


Court mais fort! 9 étoiles

Certains livres passent dans vos mains et vous les oubliez de suite. D’autres marquent votre esprit pour différentes raisons. Vous pouvez au choix apprécier l’histoire, aimer l’atmosphère, vous attacher aux personnages ou accrocher à l’écriture. Et c’est bien pour cette dernière caractéristique que je retiendrai ce roman.
Dès les premiers mots, on sent qu’il se passe quelque chose. Je ne suis pas forcément un grand adorateur des phrases à rallonge mais lorsqu’elles sont bien maîtrisées, le résultat est souvent séduisant. Et c’est le cas dans ce premier roman « Fils du Feu ».

Après un début de récit un peu laborieux, je suis vite entré dans l’histoire. En très peu de pages, l’auteur réussit à décupler les sensations. J’ai ressenti l’ambiance de chaque scène avec ses odeurs, ses lumières, ses matières, ses sons…
Outre l’atmosphère, le destin des différents acteurs est aussi particulièrement bien retranscrit. On subit avec eux le deuil douloureux qui s’immisce dans leur quotidien. Ça prend aux tripes et j’ai été ému par cette chronique familiale qui transpire le malheur.
Pour ne rien gâcher, la langue de Guy Boley est magnifique de justesse et porte le texte avec grâce.

C’est au final un premier essai remarquable, plein de prouesses stylistiques. Pour passer un cours moment de virtuosité littéraire, laissez-vous séduire par cet artiste multiforme qui, avec sa plume poétique, vous procurera ce petit condensé de sensibilité et d‘émotion duquel vous sortirez surement bouleversés, comme je l’ai été.

Killing79 - Chamalieres - 45 ans - 11 janvier 2017