Treize façons de voir
de Colum McCann

critiqué par Alma, le 5 septembre 2016
( - - ans)


La note:  étoiles
Les chemins inimaginables de la littérature
Si, comme c'est l'usage pour les recueils de nouvelles, le titre de l'ouvrage 13 FACONS DE VOIR est emprunté à celui de la première nouvelle, il est aussi l'indice que le thème de l'observation confère une unité thématique au recueil .

La première nouvelle qui occupe plus de la moitié de l'ouvrage et constitue en soi un court roman de 170 pages relate la dernière journée du juge Mendelsohn, homme âgé et physiquement diminué qui mourra victime d'une agression dans la rue . Le lecteur suit les pensées du personnage depuis son réveil, pensées qui vagabondent entre un présent qu'il déplore et un passé dont il se remémore des moments heureux . Les 13 façons de voir sont celles des diverses caméras placées aussi bien dans sa chambre – pour surveiller sa santé- que dans le hall de son immeuble, dans le restaurant ou dans la rue et qui permettront à la police de comprendre la raison de son assassinat et d'en déterminer l'auteur.

Ce thème du regard se retrouve dans la 2e nouvelle qui présente les images intérieures successives permettant à un journaliste d'élaborer le scénario d'une nouvelle qu'il devra rédiger pour un magazine . Il se manifeste ensuite successivement dans les autres nouvelles par les recherches d'indices pour retrouver un enfant fugueur qu'on croit noyé ; dans le comportement d'un soldat montant la garde la nuit dans un vallée de l'Afghanistan, à l'affût de bruits ou de mouvements suspects ; dans les images télévisées d'un ancien tortionnaire devenu homme respectable réactivant les souvenirs douloureux des viols chez sa victime ; et par l'observation quasi fascinée d'un acte violent et subit.

Les technologies nouvelles de diffusion de l'image et de la parole sont présentes dans les récits par l'usage des caméras, de la télévision , des téléphones portables ou satellitaires, et jouent un rôle d'autant plus important que ce thème du regard se double de celui de la violence .

Une violence qui sans être décrite avec détails est vue par l'acuité de l'oeil d'un témoin ou au travers de la sensibilité d'une victime. Elle sous-tend le récit et l'auteur en explore plutôt l'origine ou les séquelles, faisant s'imbriquer ainsi passé, présent et avenir d'un personnage .
Cette thématique de la violence prend tout son sens quand on connaît le passé récent de l'auteur qu'il présente dans une note finale où il montre comment vécu et imagination se mêlent au sein d'un récit de fiction. « Ces nouvelles étaient presque achevées à l'été 2014, quand j'ai été victime, le 27 juin, d'une agression à New Haven, dans le Connecticut. Certains de ces récits ont été composés avant cette mésaventure, et d'autres après.
Il me semble parfois que nous écrivons notre vie à l'avance et que, d'autres fois, nous sommes seulement capables de regarder derrière nous. Mais en fin de compte, chaque mot que nous écrivons est autobiographique, peut-être plus encore quand nous essayons d'éviter toute autobiographie.
Malgré tout ce qu'elle doit à l'imagination, la littérature prend des chemins inimaginables. »

Un grave et riche recueil dans lequel on retrouve l'écriture nerveuse, précise et sans graisse de Column Mc Cann qui donne densité et force à sa narration
Un vrai festin 9 étoiles

Elle est vraiment géniale la nouvelle (court roman) qui donne son titre au recueil. Colum McCann est pour moi un des auteurs les plus doués de notre époque et cette lecture en est encore la confirmation. Son style alerte, sautillant, évocateur, imagé, humoristique même est un vrai bonheur.

Dans « Treize façons de voir », la perspective des 13 chapitres change et nous nous trouvons certaines fois dans les pensées vagabondes de Mendelssohn, ce vieil homme de 82 ans, ancien magistrat, résident dans un appartement luxueux de New-York en compagnie de sa gouvernante puis d’autre fois dans la recherche de policiers scrutant des images de caméra de surveillance pour tenter d’élucider le meurtre du même juge. Un va-et-vient entre les réflexions mentales de Mendelssohn où apparaissent l’épouse décédée, un fils devenu homme d’affaires et à la moralité douteuse, une fille exilée en Israël après un début de vie tumultueux, la gouvernante toute à son service et celles des inspecteurs chargés de l’enquête fait avancer la lecture jusqu’au nœud de l’histoire qui a lieu dans un restaurant chic de la grande ville où notre « héros » a l’habitude de venir diner fastueusement et où il a cette fois invité son fils. Ce sera un vrai festin, en effet !

Les autres nouvelles sont également agréables, malicieuses en diable, d’une grande poésie, d’une grande générosité et d’une grande intelligence … comme Mr McCann, je pense.

Ardeo - Flémalle - 77 ans - 14 janvier 2023