Petite Plaisance
de Daniel Soil

critiqué par Ddh, le 1 septembre 2016
(Mouscron - 83 ans)


La note:  étoiles
Tout n'est pas simple
Petite plaisance est le nom d'une maison. Un coin de bonheur, mais difficile d'y accéder pour les personnages qui apparaissent dans ce roman.
John, en mars 45, est en prison à Huy. John ? Un personnage hors du commun : né en Suisse, militant communiste, a travaillé durant la guerre dans le commerce des machines à coudre Singer. Il faisait le passe-passe entre Herzfeld chez Singer et la Belgique et avait une admiration pour la rigueur du National-Socialisme ! Un ami de toujours ? René, avocat, qui le défendra bien pour une libération. Une femme Léa et un enfant, Steff. Une maîtresse aussi à Herzfeld, Dorly dont le mari est sur le front de l'Est et leur fille Anke.
Ce sont plusieurs sujets délicats que l'auteur aborde : la collaboration, l'adultère, le mal-être, mais sans jamais de vulgarité ni de parti-pris. La charpente du roman est aussi originale : point de vue de Léa, puis de John, ensuite de René, avec celui de Steff en épilogue. Différents styles utilisés : épistolaire, récitatif ; de belles descriptions aussi.
La petite musique de nos existences 10 étoiles

John Kopp, militant communiste polyglotte d’origine suisse envoyé à Tirlemont pour rallier à la cause les travailleurs étrangers, est accusé de sympathie avec le nazisme pour avoir fréquenté une Allemande lorsqu’il travaillait pendant la guerre pour les machines Singer et faisait alors l’aller-retour entre l’Allemagne et la Belgique. Nous sommes en 45 et il est enfermé au fort de Huy en attendant son procès pour collaborationnisme, quand Léa, sa femme, relate dans une manière de défense sa vie avec lui, et leur fils Steff né en 1939…

De mars 1945 à octobre 78, quatre voix vont se succéder pour rendre compte de cette relation qui mêle aussi René, l’ami avocat du couple, auquel va s’ajouter à Steff, l’enfant de Léa et John, Anke, la fille de l’amie allemande morte dans un bombardement allié à la fin de la guerre.

Il s’agit de quatre points de vue, un quatuor de voix, sur une relation singulière mais emblématique du XXème siècle qui réunit des êtres qu’au départ rien ne prédestinait à se faire rencontrer et qui vont composer avec ces facteurs leur petite musique et fonder bientôt une famille élargie, recomposée, dirait-on aujourd’hui, sur le territoire suisse.

René, l’ami qui les accompagne à l'étranger, apporte de l’apaisement dans ses descriptions des paysages et le mode de vie des habitants. Et de la musique car René aime le bel canto ; c’est le poète, le bon génie de la villa Petite plaisance qui donne sur le lac Léman. Si John continue d’être le raisonneur, l’horloger, l’homme d’action, René est le modérateur, le commentateur bienveillant des faits et gestes des membres de la famille, leur guide dans les choix à opérer pour les faire s’épanouir.

C’est un livre sur les grandes lignes de l’histoire qui embrouillent nos destinées, alors que nous aurions tendance à nous en croire les acteurs. Un livre aussi sur l’ambiguïté des choses et les interprétations abusives, qui tendent à simplifier la complexité, tant au niveau historique que dans les relations intimes entre les êtres.

Au sortir de la guerre, l’opinion s’empresse d’accuser John de sympathie avec le nazisme alors que la réalité est plus subtile et moins définissable en termes manichéens.

Sur le plan relationnel, au trio amoureux de départ, quand John pendant le conflit fréquente l’Allemande, va succéder un second trio lors de l’installation à Petite Plaisance en Suisse du couple et leurs enfants avec l’ami de la famille, le placide René.

Sans que cela ne vire jamais au drame, avec beaucoup de pudeur, les différents protagonistes de cette histoire qu’on pourrait trouver troublée, écrivent leur relation singulière sur le blanc de la ville de Tirlemont et de la neige du paysage alpin. Ils instaurent une autre façon de vivre, qui n’a plus la nation comme visée, ni les relations conjugales classiques comme seul but ; ils défendent leurs opinions sans se préoccuper des frontières affectives classiques ou nationales. Ils ont appris au fil des générations et des coups de l’histoire à être davantage maîtres de leur destin, de leurs lignes de cœur.

Un beau, un très beau roman !

Kinbote - Jumet - 65 ans - 9 décembre 2016