Eclipses japonaises
de Éric Faye

critiqué par Lucia-lilas, le 28 août 2016
( - 58 ans)


La note:  étoiles
Cartes brouillées...
J’avais lu il y a quelques années une enquête de L. Mauger et S. Remael intitulée Les Évaporés du Japon ainsi qu’un roman de T B. Reverdy Les Evaporés qui parlaient de ces hommes (90 000 par an, ce n’est pas rien !) qui disparaissaient volontairement pour fuir une société trop stressante, un endettement, une perte d’emploi, un échec à un examen ou une famille dans laquelle ils ne trouvaient plus leur place. Ils se fondaient dans la multitude des mégalopoles. Certains se suicidaient, d’autres refaisaient leur vie. On les retrouvait parfois. Souvent, on ne les revoyait jamais.
Cependant, pour certaines familles s’ajoutait la crainte d’un enlèvement par la Corée du Nord, fait assez fréquent dans les années 1970-1980.
J’en étais restée là. Je me souviens que ce phénomène de société, ces gens qui décidaient de plier bagage et de tout quitter volontairement, en une nuit, m’avait fascinée.
Ce que j’ai découvert dans le livre d’Éric Faye m’a tout autant passionnée : en effet, l’auteur raconte précisément la vie d’hommes et de femmes enlevés par la Corée du Nord pour former des espions nord-coréens en leur apprenant la langue japonaise et les coutumes du pays.
On les appelle en japonais les « cachés par les dieux ou kamikakushi ».
Le roman d’Eric Faye, extrêmement bien documenté et très proche de la réalité historique, modifie les noms, bien sûr, mais finalement et sans doute grâce à la fiction, permet d’approcher au plus près des sentiments de celles et ceux qui ont été arrachés à leur famille, à leur pays, à leurs racines pendant plusieurs dizaines d’années et transplantés ailleurs, devenant par là-même étrangers aux leurs et à leur propre culture.
Naoko Tabane, collégienne de treize ans, rentre de son cours de badminton. Nous sommes en décembre 1977 à Niigata. Elle sera enlevée. En Corée du Nord, elle s’appellera Hyo-sonn et apprendra d’abord la langue de ce pays étranger. A son tour, elle devra enseigner le coréen à une japonaise, elle aussi enlevée. Les échanges des deux jeunes femmes sont étroitement surveillés. Elles doivent apprendre ensuite « la philosophie » du pays, le « Djoutché » (Juche), doctrine officielle développée par Kim Il-sung. Puis, une mission sera confiée à Naoko : face à des Coréens connaissant parfaitement le japonais, elle devra « parler de sa petite enfance », leur apprendre des berceuses, leur raconter les émissions de télévision qu’elle regardait enfant.
La jeune fille ne comprend pas tout de suite le but de sa mission. « Ils buvaient son enfance » pense-t-elle en voyant ces jeunes adultes pendus à ses lèvres. Mais soudain, elle prend conscience d’une chose terrible, à savoir « qu’elle était peut-être en train d’apprendre des comptines à des tueurs ».
Le but de tout cela ? Faire de ses auditeurs coréens de parfaits Japonais, dans leurs moindres gestes, leurs moindres mimiques afin qu’ils deviennent des espions modèles et qu’un œil averti soit incapable de soupçonner leur origine.
« À force de parler, Naoko Tanabe avait la sensation de se vider de sa langue maternelle comme de son enfance », elle « s’écoulait en eux… », « quand ses élèves seraient devenus des Naoko Tanabe, elle-même aurait tari. C’en serait fini d’elle. »
La prose magnifique d’Eric Faye peint avec finesse et justesse une jeune femme qui se meurt, que l’on tue à petit feu. Sa souffrance paraît insondable.
Il y aura aussi Setsuko Okada, future infirmière, qui sera enlevée le quinze août 1978 sur l’île de Sado, avec sa mère. Plus tôt, c’est Jim Selkirk, le GI américain, qui disparaîtra le 17 février 1966 pour ne réapparaître que trente-huit ans plus tard…
Et ces destins vont se mêler, se fondre, se croiser sans que les protagonistes ne puissent se parler vraiment, échanger, dire ce qu’ils ont sur le cœur. Ces gens vont vivre une vie qui n’est pas vraiment la leur, auront des enfants, nés en Corée du Nord, parlant le coréen du Nord, des enfants qui seront un peu étrangers à leurs parents, des enfants à qui on ne pourra pas dire la vérité, qui auront peur du Japon, présenté à l’école comme le pays du diable…
Quand on dit que la réalité dépasse parfois la fiction…
Fascinant dans son propos mais aussi dans sa forme, ce roman est construit comme un puzzle, restituant par là même une réalité géopolitique complexe. Petit à petit, le lecteur reconstitue, à travers les différents points de vue sur les événements, une Histoire, des histoires à peines croyables et hélas, encore d’actualité !
Une œuvre centrée sur un double mouvement vertigineux d’hommes et de femmes qui perdent leur identité : des Japonais devenant bien malgré eux insensiblement Coréens, et d’ autres faisant le trajet inverse, tout aussi peu volontaires, contrairement à ce qu’on pourrait penser. (On ne choisit pas nécessairement d’être espion !)
Un roman extraordinaire, extrêmement bien documenté, au suspense digne des plus grands romans d’espionnage, qui met en scène des personnages dont la tragédie nous émeut, des êtres exilés sur la planète rouge et qui ont trouvé malgré tout en eux la force incroyable de vivre et d’aimer…
Un grand cru de la rentrée littéraire 2016…
Obscurité nord-coréenne 7 étoiles

Eric Faye reprend à son compte des faits réels, terribles, impliquant la Corée du Nord dans des enlèvements d’étrangers, principalement japonais (le Japon étant considéré grosso modo comme le Grand Satan), afin de les utiliser comme formateurs d’espions ou d’agents terroristes plus japonais que nature.
C’est qu’en effet le but est des plus pitoyables ; même pas monnaie d’échange, ou détenteur de secrets technologiques, non, ceux qui sont enlevés sur les côtes japonaises et qui n’ont en commun que d’être jeunes (autour de la vingtaine d’années), ne serviront qu’à enseigner aux espions et terroristes nord-coréens, du moins à ceux qui se destinent à ces carrières, les moindres finesses de la « japonité ».
Ils seront séquestrés leur vie durant, leurs personnalités effacés, leurs identités nord-coréanisées. Leurs familles les croiront morts ou disparus en mer ou … ? Simplement on leur demandera de raconter leur enfance, de donner tous détails susceptibles de « faire » toujours plus japonais …
Eric Faye passe par le biais de la fiction et d’un récit très éclaté puisqu’il prend plusieurs cas patents, inspirés de la réalité pour développer sa thèse. C’est le reproche que je pourrais faire à ce roman : son côté par trop disparate qui noie un peu le lecteur. Plusieurs fois je me suis senti perdu et ai eu besoin de revenir en arrière pour recadrer qui était qui et faisait quoi.
En dehors de ces Japonais enlevés, Eric Faye s’attache aussi au cas d’un G.I. américain ayant déserté pendant la guerre de Corée alors qu’il était sur la ligne démilitarisée entre les deux Corées. Il voulait échapper à la mutation probable de son unité de cette « planque » vers l’abattoir qu’était la guerre du Vietnam. Egalement il raconte l’histoire d’une ces agents nord-coréennes capturée à Berlin alors qu’elle vient d’exécuter sa mission, faire sauter le vol 858 de la Korean Airlines. Cette Nord-coréenne totalement japonisée intrigue les autorités et c’est de là que commencera à filtrer l’entreprise démente de la Corée du Nord d’enlèvements.
L’histoire était peu connue. Elle est traitée manifestement avec souci de l’authenticité mais ce récit très éclaté m’a parfois égaré.

Tistou - - 68 ans - 15 avril 2019


Corée du Nord théâtrale ! 9 étoiles

Éric Faye (1963- ) est un écrivain français, lauréat notamment du grand prix du roman de l'Académie française en 2010 pour son roman "Nagasaki".
"Éclipses japonaises" paraît en 2016.

Le roman s'ouvre sur le kidnapping de jeunes femmes japonaises, embarquées de force sur un bateau, direction la Corée du Nord. Des jeunes filles coupées de la civilisation et transplantées dans une autre vie, un autre monde.
Rapidement, on leur demande d'enseigner leur langue natale et de livrer tous les secrets du Japon.
Qu'elles se vident de la moindre parcelle japonisante et se remplissent de Corée du Nord (...)
C'est l'arrestation d'une espionne nord-coréenne après un attentat, qui révèle aux autorités japonaises l'ampleur du trafic. Cette espionne avoue avoir été formée par des japonaises.

Un roman passionnant entre enquête journalistique (il s'agit de faits réels) et roman policier.
On est glacé par le "système" nord-coréen qui déshumanise, affame et surveille la population .
Un ouvrage instructif, intelligent et puissamment Humain.
Une belle découverte !

Frunny - PARIS - 59 ans - 9 mars 2019


"Cachés par les dieux" 8 étoiles

En Corée du Nord, les hommes n’ont pas d’identité ; ils sont là pour servir la cause, celle du Grand Leader. Si un ordre est donné d’enlever des japonais pour servir la cause, les ravisseurs n’auront aucun état d’âme, que ce soit un homme, une femme ou une enfant. Il en sera de même pour les instructeurs. Tous, victimes étrangères ou coréens, vivent totalement privés de liberté.

Eric Faye raconte les destins tragiques de ces personnes qui étaient au mauvais endroit, au mauvais moment. Que ce soit Setsuko, enlevée à 23 ans, Jim, soldat déserteur américain arrivé en 1966, Shigeru Hayashi, archéologue enlevé en 1979 ou la jeune collégienne de 13 ans, Hyo-Sonn.
C’est glaçant, terrifiant, et pourtant, surviennent d’indispensables et furtifs moments de bonheur, d’espoir, dans ces vies saccagées.

Un peu perdue parfois dans les prénoms coréens ou japonais, dans les chapitres passant d’une personne à une autre, j’ai cependant beaucoup aimé et beaucoup appris.

Marvic - Normandie - 66 ans - 23 janvier 2019


Très surprise 10 étoiles

J'ai pris un peu ce roman par contrainte dans le cadre d'un autre prix littéraire, que dire d’autre que j’ai adoré cette histoire tirée de faits réels même si parfois on s’y perd un peu à cause du nom des protagonistes déjà difficile à retenir par leur consonance japonaise mais en plus changé lors de leur enlèvement en nom Coréen.
On a plusieurs points de vue, celui des personnes enlevées et celui des Coréens du Nord participant au programme du gouvernement dans un régime ultra autoritaire et cela rend cette histoire encore plus intéressante.

LesieG - CANTARON - 58 ans - 15 décembre 2018