Pièces détachées : Une anthologie de la poésie française aujourd'hui
de Auteur inconnu

critiqué par Septularisen, le 26 août 2016
( - - ans)


La note:  étoiles
PATCHWORK POÉTIQUE
Jean-Michel ESPITALLIER (*1957) est un écrivain et poète français cofondateur de la revue "Java" (1989-2006) qui fut au tournant du siècle l'une des principales revues de poésie contemporaine. Il nous propose ici une anthologie de poésie (parue en 2000) comportant 33 poètes, qui tous ont été publiés au moins une fois dans la revue « Java » entre 1989 et 2000.
Chaque poète est introduit par une courte notice bibliographique et une introduction de son œuvre très succincte, l’auteur ayant voulu privilégier la découverte du poète.
L’auteur ne veut pas nous présenter des poètes représentatifs de l’ensemble de la production contemporaine mais seulement mettre en place une série d’indices, de jalons pour nous guider dans celle-ci et nous la faire découvrir dans sa richesse et sa pluralité, il n’ y a donc ici aucune explication, aucune clef de compréhension, aucune analyse de quelque ordre que ce soit, juste le texte poétique « brut de décoffrage » comme se suffisant à lui-même!…

Comme toujours avec une sélection on ne peut donc que constater «ceux qui manquent» et ceux qui d’après nos propres et obscurs critères – je dois le dire -, ne devraient pas être là!...
Faisant abstraction de tout ceci, je dois dire que si la sélection me paraît très correcte, je ne peux bien sûr citer tous les noms que l’on croise, mais on y retrouve p. ex. quelques « très grands » que la poésie française contemporaine à déjà largement consacrés. Citons entre autres : Jacques ROUBAUD (*1932) http://www.critiqueslibres.com/i.php/vauteur/2947 ; Jude STÉFAN (*1930) http://www.critiqueslibres.com/i.php/vauteur/30356 ; Ghérasim LUCA (1913-1994) ; Emmanuel HOCQUARD (*1940) ou encore Eugène SAVITZKAYA (*1955 )http://www.critiqueslibres.com/i.php/vauteur/1686.
Malheureusement, comme toujours dans ce genre de livres, le problème est qu’ils « vieillissent » très (trop) ainsi, certains des auteurs cités ne sont plus parmi nous depuis la publication de ce livre, comme p. ex Bernard HEIDSIECK (1928-2014) ou encore Jacques SIVAN (1955-2016) co-fondateur de la revue « Java ». Autre regret : la présence de seulement six auteurs féminins dans cette sélection.

Mais, dans l’ensemble une bonne initiation à la poésie contemporaine et de belles découvertes en perspective…

Quelques autres auteurs présents dans cette anthologie et… Sur CL :

Paul Louis ROSSI (*1933) : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/16646
Cécile MAINARDI (*1966) : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/16343
Christophe TARKOS (1963-2004) : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/26187
Philippe BECK (1963) : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/27403
Olivier CADIOT (*1956) : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/3062
Valère NOVARINA (1947) : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/16807

Difficile ici, bien sûr, de choisir un poète et une poésie à vous présenter parmi toutes celles présentées, mais ce texte de Nathalie QUINTANE (*1964) (que l'on retrouve ici : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/9807), m’a beaucoup touché, je ne résiste donc pas à vous le faire partager...

Chaussure

Quand je suis restée longtemps l’été dans un pré, je vois les empreintes laissées par les brins d’herbes s’entrecroiser sur ma peau.
Posé à terre, le pied dissimule exactement la surface sur laquelle il s’inscrit.
L’ombre du pied est la seule à se confondre en partie avec son origine.
L’ombre du corps devance, côtoie ou précède celui-ci, suivant l’orientation des rayons lumineux.
Aussi puis-je avoir l’impression de courir après mon ombre, ou de m’en éloigner.
Ou d’accompagner mon ombre.
Dans un soulier pénètre peu la lumière.
(L’intérieur du soulier est obscur, car son ouverture a une dimension à peine supérieure à la circonférence de la cheville.)
Le fond de la botte est encore plus noir.
Ainsi, mes pieds logent dans un lieu sombre et rigide qui ne voit pas la lumière.
Bien qu’en réalité je ne puisse voir l’intérieur de mes chaussures, une fois qu’elles sont chaussées, j’imagine qu’il y règne un noir presque parfait.
La chaussure n’est pas une chose naturelle, comme la rose, mais un produit manufacturé, fabriqué par l’homme ou ses machines.
Les chaussures gisent sur le sol, et ne montent pour ainsi dire jamais jusqu’aux tables, piquées dans un vase.
Pourtant, la rose n’est plus depuis longtemps une fleur sauvage.
Elle est cultivée pour être vendue
Ou offerte ; ou entrer dans un bouquet.
De nouvelles roses sont créées chaque année ; on leur donne un nom ; aucune rose ne porte seulement le nom de rose :
(…)
La rose future ne naît pas rose, sans avoir été pensée, dessinée, avant sa naissance, puis le rosier greffé, cultivé, déplacé, greffé encore.
Et il n’y a donc pas une si grande différence entre une chaussure et une rose.
Mais la chaussure est une rose un peu plus utile que la rose.
(…)
La chaussure s’appelle chaussure, ainsi que toutes autres sortes de noms, comme la rose.
Le regard que nous avons sur une chaussure posée devant nous (dans une vitrine, par exemple) est sensiblement le même que celui que nous portons sur une rose.
En tant que chose, la chaussure nous concerne de la même manière que la rose.
L’une ne nous dit pas plus que l’autre.
Ce n’est pas que la chaussure soit moins « naturelle » que la rose.
Tout comme un livre, passé cinquante ans tombe dans le domaine public, la chaussure, à force d’y être, est tombée dans la Nature.
Je n’ai pas à regarder la chaussure, comme si elle était une rose.