Crâne
de Patrick Declerck

critiqué par Donatien, le 15 août 2016
(vilvorde - 81 ans)


La note:  étoiles
Avoir la tête dure.
1
Patrick Declerck m’avait fortement impressionné par l’empathie et l’humanité dont il faisait preuve dans la relation de son travail parmi les personnes sans domicile fixe pour son essai «Les Naufragés» par chez Terre Humaine en 2001.

Il avait persisté dans son pamphlet «Le sang nouveau est arrivé» dans lequel il dénonçait l’hypocrisie des politiques et des médias traitant de la situation des SDF à l’approche de l’hiver.

J’avais admiré sa lucidité et sa révolte devant les situations sociales tolérées par nous tous.
Pour ce dernier livre paru «Crâne» ,Patrick Declerck, plus combatif et révolté et même aigri que jamais, relate les préparatifs ainsi que le déroulement de son opération à crâne ouvert afin d’extraire une tumeur au cerveau.
Si l’opération en elle-même est minutieusement décrite et donc intéressante et prenante, ce sont surtout ses réflexions, ses observations et commentaires sur la vie, la mort, le corps qui suscitent chez le lecteur, à son tour, des interrogations utiles ou enrichissantes.
Tout est mené comme un dernier combat contre la mort même si la condition humaine qu’il analyse ne semble pas avoir grande valeur. Nacht (nuit), son héros, est très soucieux de sa dignité, du souci de rester debout durant ces épreuves.
Il veut garder la tête haute, sauvegarder le principal à tout prix, soit la lecture, l’écriture et la musique. Ce que permettrait la réussite de cette opération.
«Tout plutôt que de plier sans rude bataille» (Les citations sont entre guillemets)
La description qu’il fait de son corps de 60 ans, des parties de ce corps, l’amène à un triste constat. «Corps d’ancien combattant qui n’avait jamais combattu». Le personnel hospitalier n’est pas mieux servi. Tous des morts en sursis, des «enculés en veste blanche»,etc.

Tout change lorsque Anne, sa compagne, arrive avec la chienne qui court vers lui «surexcitée et incapable de contrôler sa joie.Ce que dit la chienne à sa façon.» Ca ne vaut pas la peine de vivre sans toi». C’est le seul moment dans cette histoire où Nacht pourrait pleurer.

C’est ensuite sa relation avec les services médicaux qui est évoquée depuis la découverte de la tumeur, il y a sept ans, jusqu’à la décision d’intervenir prise par sa neurologue Nathalie qui l’assistera du début à la fin sous la direction du chirurgien Nicolas Krakov.
Opérer sans endommager la partie du cerveau qui est le siège de la langue, de la lecture nécessite une technique spéciale. Le crâne est ouvert à hauteur de la tumeur, bien entendu sous anesthésie.
Par contre l’on opère ensuite sans anesthésie afin de délimiter précisément les zones à traiter.Ce qui ne peut être efficace qu’en demandant au patient en réveil, d’effectuer des calculs, lectures ou gestes observables par l’équipe du bloc opératoire.
La troisième phase se fait à nouveau sous anesthésie puisqu’il s’agit de réparer la boîte crânienne et de recoudre le cuir chevelu.
Les amateurs d’histoires médicales de blocs opératoires sont comblés parce que Nacht va jusque dans le moindre détail clinique.


2
Au réveil, il est pleinement conscient de tout ce qui est arrivé. «L’important c’est «survivre, survivre furieusement».
Le chirurgien lui demande, afin de tester comme convenu le retour de sa mémoire, de lui réciter quelques vers de Shakespeare. Nacht qui vénère cet auteur parvient à réciter de mémoire quelques vers de «Macbeth», terminant par «C’est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien».

L’opération s’est bien passée. Il compare la salle de réveil au purgatoire» une immense salle de réveil où l’on passe, enchaîné, un temps que l’on ne mesure plus, avec pour fond sonore le bas radotage d’un télé irritante où délirerait sans fin un Dieu gâteux.»

Il a retrouvé Sally à sa sortie, qui, d’un oeil très préoccupé, vient lui regarder la tête enrubannée de pansements. «Elle comprend qu’il s’est passé quelque chose de grave et que Nacht est maintenant blessé. Acceptant seulement d’aller se nourrir dans la cuisine une fois par jour et d’être sortie matin et soir par Anne, elle refusera de le quitter un seul instant durant ces quinze jours».

«Prolonger de quelques années sa vie pleine et consciente». Le principal c’est d’écrire, non pas pour plaire «préoccupation qu’il laisse à la masse avide des pizzaïolos de l’existence...» Rien de cela ,mais seulement parce que écrire est sa manière à lui de rager contre la vacuité générale et le néant qui vient. L’individu par courts instants, parvient peut-être à s’élever un peu. L’espèce elle non.»

Il y a maintenant presque un an que Sally, la chienne est morte dans ses bras.Morte serrée dans ses bras d'homme et tous ses pleurs de petit garçon. S’il avait, à cet instant, pu penser que peut-être elle allait quelque part, il l’aurait suivie sans hésiter».

Le livre est d’ailleurs dédié « A Sally, ma chienne (2003-2015)».

Texte plein de ressentiment, contre la vie , le corps (de la viande!), l’espèce humaine. Efficace et dru, sans moraline mais c’est finalement d’Anne que j’aurais voulu qu’il me parle. Anne qui a aussi peur pour lui, qui l’assiste , l’aide...
Je trouve dommage qu’elle ne soit pas mentionnée dans la dédicace, même si les chiens ont une place spéciale dans nos existences.
Mais l’auteur a tous les droits.......